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On veut nous faire assassiner, cela se traduit, c’est Vergniaud qui parle, par : « On nous menace du glaive des assassins ». C’est encore Vergniaud qui pour dire « nous tuerions un dictateur », dit : un chef ne paraîtrait parmi nous que pour être à l’instant percé de mille coups. David, pour dire : je ne suis pas orateur, je suis peintre, dit (29 mars 1793) : « Le ciel, qui répartit ses dons entre tous ses enfants, voulut que j’exprimasse mon âme et ma pensée par l’organe de la peinture, et non par les sublimes accents de cette éloquence persuasive que font retentir parmi nous les fils de la liberté. » Voter contre le jury, c’est « saper le boulevard de l’innocence ». Barbaroux dit : « Vos commissaires dans le département des Bouches-du-Rhône se sont présentés comme des torrents dévastateurs, comme des rochers de la montagne, écrasant les troupeaux et les plantes, mais Marseille, comme un chêne inébranlable, les a arrêtés dans leur cours. » Carra rend compte d’une action à laquelle il a assisté, et pour dire : « Nous avons battu l’ennemi », il dit : « Nous avons vu la victoire suivre nos drapeaux ». Les communications de la Commune à la Convention sont du même style ; Pache, assisté de Dorat-Cubières, écrit : « Les républicains n’ont qu’à paraître sous les drapeaux de la liberté dans les départements où les révoltés osent lever un front audacieux, pour les faire rentrer dans la poussière ». On ne dit pas : « Faites sonner le tocsin », on dit : il faut que l’airain frémisse. Des femmes enceintes ont avorté dans les foules qui se pressent aux portes des boulangers. Mercier dit : « Que de précieux gages de l’amour conjugal ont été anéantis à la source de la vie ! »

Le même Mercier, pour dire que les femmes ne mettent pas de fichus, écrit : « Sous une gaze artistement peinte palpitent les réservoirs de la maternité ». La Source se justifie par cette explication : « Eh quoi ! nous conspirerions pour avoir le plaisir de voir tomber nos têtes !) (12 mars 1793). Guadet veut dire : je suis pauvre, il s’écrie : « Voyez-moi arriver à l’Assemblée. Suis-je traîné par des coursiers superbes ? » Robespierre, exprimant la même idée, dit : « Où sont mes trésors ? »

Cela n’empêche pas cependant Robespierre de trouver par moments, même dans ce style, de magnifiques et effrayantes formules. Ainsi : « Le glaive des lois, jusqu’à ce jour, n’a été que vertical ; il tombe de haut en bas ; je le veux horizontal ». Ce mot tragique, c’est tout 93. Robespierre, du reste, avait parfois des accès de style ferme et franc. Ainsi il disait, dans un vrai langage lapidaire : J’entends appliquer la peine de mort à la royauté. Et il émettait, avec un laconisme magistral, cette pensée d’où est sortie la Terreur : avoir des entrailles pour les oppresseurs, c’est n’en point avoir pour les opprimés.

Mais le jargon solennel dominait. Le côté faux du style du dix-septième siècle a influé sur la langue jusqu’à la fin du dix-huitième, et le mauvais goût de la littérature royale étalait ses phrases en pleine Convention.

En même temps on était « sensible », adjectif à la mode. Ceci était l’influence de Raynal et de Mably. Un représentant, Delagueulle, nom qui fit rire dans une heure funèbre, votait ainsi sur Louis xvi : « Je suis un homme sensible, mais pas de fausse pitié ; la mort. » Un autre, Cassanges, disait : « C’est avec la plus grande sensibilité que je vote la mort. »

On s’injuriait avec un choix bizarre d’expressions. Danton qualifiait Marat « acerbe et volcanique ». Danton, disons-le, à force de vraie éloquence et de spontanéité fou-