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nous ne pouvons nous empêcher d’en extraire quelques lignes où se rencontre un détail qui nous a frappé :

« À Maluisy, tombé sous le glaive de la loi.

« Deux étuis renfermant deux gobelets de cristal ; plus une boîte rouge en écaille avec un portrait de femme ; plus enfin une lunette d’approche. »

« À Chambon d’Arnouville, tombé sous le glaive de la loi.

« Une lunette d’approche, plus du galon en or, propre à être brûlé. »

« À Nicolaï, passé sous le glaive de la loi.

« Un étui de basane rouge, dans lequel est un gobelet et deux lunettes d’approche ; plus un couteau à gaine, manche d’ivoire. »

« À La Marelle, tombé sous le glaive de la loi.

« Trois flacons de cristal ; une lunette d’approche, plus une autre lunette d’approche ; une paire de boucles d’argent à jarretières. »

« À d’Haufefort, tombé sous le glaive de la loi.

« Une coupe garnie d’écaille ; un étui renfermant une lunette d’approche ; deux cuillers d’argent à café, une petite lame d’argent, servant de gratte-langue. »

À Fabre d’Églantine, condamné.

« Deux couverts d’argent à fileté, une paire de draps, un gros manchon, une lunette d’approche en ivoire, cinquante volumes reliés, trente-neuf Encyclopédie, six volumes de Molière, deux cahiers, histoire de la Révolution, une lampe à quinquet, trois matelas, un fauteuil de paille à dossier en lyre. »

Que signifient toutes ces lunettes d’approche et à quoi ont-elles servi ?

Que cherchaient-ils donc à l’horizon ces malheureux vers lesquels depuis tant d’années la révolution s’avançait ?

Hélas ! si au lieu de toutes ces vaines lunettes de verre et de bois, ils eussent eu la véritable longue-vue, celle qu’on appelle la prudence, peut-être eussent-ils distingué à temps la guillotine debout au loin dans les brumes de l’avenir, et qui sait si 89 n’eût pas évité 93[1] ?


Michel Lepelletier de Saint-Fargeau fut assassiné le 20 janvier 1793 par le garde du corps Paris chez Février, restaurateur au Jardin Égalité. Au moment de l’assassinat, Lepelletier de Saint-Fargeau était dans la seconde salle du restaurant située à droite et communiquant avec la première par une assez large arcade surbaissée qui permettait de voir d’une pièce ce qui se passait dans l’autre. Lepelletier de Saint-Fargeau était seul dans cette seconde salle. Il était assis près de la muraille, sur une chaise à dossier-lyre, devant une petite table sans nappe où son couvert était mis.

  1. Au revers d’une dédicace en allemand adressée, en 1841, à Victor Hugo à propos de son élection à l’Académie. (Note de l’éditeur.)