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Un vent froid soufflait de la forêt. Gauvain, laissant Guéchamp donner les ordres nécessaires, alla à sa tente qui était dans le pré de la lisière du bois, au pied de la Tourgue, et y prit son manteau à capuchon, dont il s’enveloppa. Ce manteau était bordé de ce simple galon qui, selon la mode républicaine sobre d’ornements, désignait le commandant en chef. Il se mit à marcher dans ce pré sanglant où l’assaut avait commencé. Il était là seul. L’incendie continuait, désormais dédaigné ; Radoub était près des enfants et de la mère, presque aussi maternel qu’elle ; le châtelet du pont achevait de brûler, les sapeurs faisaient la part du feu, on creusait des fosses, on enterrait les morts, on pansait les blessés, on avait démoli la retirade, on désencombrait de cadavres les chambres et les escaliers, on nettoyait le lieu du carnage, on balayait le tas d’ordures terrible de la victoire, les soldats faisaient, avec la rapidité militaire, ce qu’on pourrait appeler le ménage de la bataille finie. Gauvain ne voyait rien de tout cela.

À peine jetait-il un regard, à travers sa rêverie, au poste de la brèche doublé sur l’ordre de Cimourdain.

Cette brèche, il la distinguait dans l’obscurité, à environ deux cents pas du coin de prairie où il s’était comme réfugié. Il voyait cette ouverture noire. C’était par là que l’attaque avait commencé, il y avait trois heures de cela ; c’était par là que lui Gauvain avait pénétré dans la tour ; c’était là le rez-de-chaussée où était la retirade ; c’était dans ce rez-de-chaussée que s’ouvrait la porte du cachot où était le marquis. Ce poste de la brèche gardait ce cachot.

En même temps que son regard apercevait vaguement cette brèche, son oreille entendait confusément revenir, comme un glas qui tinte, ces paroles : Demain la cour martiale, après-demain la guillotine.

L’incendie, qu’on avait isolé et sur lequel les sapeurs lançaient toute l’eau qu’on avait pu se procurer, ne s’éteignait pas sans résistance et jetait des flammes intermittentes ; on entendait par instants craquer les plafonds et se précipiter l’un sur l’autre les étages croulants ; alors des tourbillons d’étincelles s’envolaient comme d’une torche secouée, une clarté d’éclair faisait visible l’extrême horizon, et l’ombre de la Tourgue, subitement gigantesque, s’allongeait jusqu’à la forêt.

Gauvain allait et venait à pas lents dans cette ombre et devant la brèche de l’assaut. Par moments il croisait ses deux mains derrière sa tête recouverte de son capuchon de guerre. Il songeait.