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fenêtre. La fumée couvrait tout, même le plateau, et l’on ne distinguait que le bord du ravin, noir sur la flamme vermeille.

Michelle Fléchard, étonnée, regardait. La fumée est nuage, le nuage est rêve ; elle ne savait plus ce qu’elle voyait. Devait-elle fuir ? Devait-elle rester ? Elle se sentait presque hors du réel.

Un souffle de vent passa et fendit le rideau de fumée, et dans la déchirure la tragique bastille, soudainement démasquée, se dressa visible tout entière, donjon, pont, châtelet, éblouissante, horrible, avec la magnifique dorure de l’incendie, réverbéré sur elle de haut en bas. Michelle Fléchard put tout voir dans la netteté sinistre du feu.

L’étage inférieur du château bâti sur le pont brûlait.

Au-dessus on distinguait les deux autres étages encore intacts, mais comme portés par une corbeille de flammes. Du rebord du plateau, où était Michelle Fléchard, on en voyait vaguement l’intérieur à travers des interpositions de feu et de fumée. Toutes les fenêtres étaient ouvertes.

Par les fenêtres du second étage, qui étaient très grandes, Michelle Fléchard apercevait, le long des murs, des armoires qui lui semblaient pleines de livres, et, devant une des croisées, à terre, dans la pénombre, un petit groupe confus, quelque chose qui avait l’aspect indistinct et amoncelé d’un nid ou d’une couvée, et qui lui faisait l’effet de remuer par moments.

Elle regardait cela.

Qu’était-ce que ce petit groupe d’ombre ?

À de certains instants, il lui venait à l’esprit que cela ressemblait à des formes vivantes ; elle avait la fièvre, elle n’avait pas mangé depuis le matin, elle avait marché sans relâche, elle était exténuée, elle se sentait dans une sorte d’hallucination dont elle se défiait instinctivement ; pourtant ses yeux de plus en plus fixes ne pouvaient se détacher de cet obscur entassement d’objets quelconques, inanimés probablement, et en apparence inertes, qui gisait là sur le parquet de cette salle superposée à l’incendie.

Tout à coup le feu, comme s’il avait une volonté, allongea d’en bas un de ses jets vers le grand lierre mort qui couvrait précisément cette façade que Michelle Fléchard regardait. On eût dit que la flamme venait de découvrir ce réseau de branches sèches ; une étincelle s’en empara avidement, et se mit à monter le long des sarments avec l’agilité affreuse des traînées de poudre. En un clin d’œil la flamme atteignit le second étage. Alors, d’en haut, elle éclaira l’intérieur du premier. Une vive lueur mit subitement en relief trois petits êtres endormis.

C’était un tas charmant, bras et jambes mêlés, paupières fermées, blondes têtes souriantes.

La mère reconnut ses enfants.