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HISTORIQUE DES MISÉRABLES.

Qui écrira sans permission ;

Sur lequel il sera trouvé une somme au-dessus de 10 francs ;

Qui refusera de travailler ;

Insubordonné.


C’est à l’aide de ce dernier document que Victor Hugo a établi les fameuses dix-neuf années de bagne qui se décomposent ainsi : cinq années pour le vol (comme pour Pierre Maurin) ; quatorze années pour les évasions ou les tentatives d’évasion. Le tarif porte trois ans par évasion ; il y en eut quatre, ce qui porterait les prolongations de peine à douze années ; mais il y eut un supplément de deux ans à cause d’une rébellion.

Victor Hugo avait mis de côté un numéro du Moniteur universel du 1er  novembre 1846 et avait écrit en haut : À consulter pour le roman des Vagabonds. C’était son roman des Misères, et il avait noté un article : Du vagabondage et des mesures adoptées pour sa répression antérieurement à 1789. Il avait donc voulu se documenter scrupuleusement sur les peines et châtiments.

Quant à Jean Valjean, son Pierre Maurin à lui, il devenait M. Madeleine, grand industriel et maire de Montreuil-sur-mer. Il s’était enrichi dans une industrie spéciale, l’imitation des jais et des verroteries noires d’Allemagne, par une transformation opérée dans cette production des « articles noirs » : il substituait la gomme laque à la résine, et pour les bracelets en particulier, les coulants en tôle simplement rapprochée aux coulants en tôle soudée ; ce changement, réduisant considérablement le prix de la matière première, avait triplé les bénéfices.

On lira ces détails dans la première partie, Fantine, chapitre i du livre cinquième, Histoire d’un progrès dans les verroteries noires, et dans la cinquième partie, Jean Valjean, chapitre v du livre neuvième.

Or nous avons retrouvé une note bien ancienne par le papier et l’écriture qu’on peut dater de 1829 ou 1830, c’est-à-dire de la même époque que la note sur Mgr  Miollis, et qui mentionne ce progrès dans l’industrie des verroteries noires. Des phrases de la note sont reproduites textuellement dans le livre. C’est encore une preuve que, dès 1830, Victor Hugo avait arrêté déjà dans son esprit le plan des Misérables, puisque nous possédons, à cette date, les origines de Mgr  Myriel, de Jean Valjean et même de M. Madeleine.

Si nous suivons le roman, nous arrivons à la deuxième partie, Cosette. Dans le livre deuxième, le Vaisseau l’Orion, chapitre iii, Victor Hugo raconte le sauvetage du gabier par Jean Valjean. Les détails techniques sont d’une remarquable précision. On suppose bien qu’ils ont été fournis par un homme du métier. Et en effet Victor Hugo s’adressa à La Roncière Le Noury et reproduisit fidèlement les renseignements qui lui furent envoyés dans une note en tête de laquelle on lit ces mots à l’encre rouge :


Note écrite pour moi dans les premiers jours de juin 1847 par M. le Bon La Roncière Le Noury, aujourd’hui capitaine de vaisseau, ami de Napoléon Jérôme — et prochainement contre-amiral[1].

(Mai 1860.)

La voici :

Un vaisseau est en armement dans l’arsenal de Toulon. L’équipage est occupé à enverguer les voiles. Le gabier qui prend l’empointure du grand hunier tribord perd l’équilibre et, tournant autour de la vergue, saisit à temps le faux marchepied sur lequel il se balance dans l’air par l’élan qu’a donné sa chute. Aucun des matelots, tous pêcheurs nouvellement levés pour le service, n’ose se risquer à aller secourir cet homme que ses forces ne peuvent soutenir longtemps. Il se fatigue d’autant plus que les efforts qu’il fait pour remonter

  1. M. La Roncière Le Noury fut nommé contre-amiral le 4 mars 1861.