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LES MISÉRABLES. — COSETTE.

— Plus souvent !

— Qu’est-ce que vous dites ?

— Je dis plus souvent.

— Plus souvent que quoi ?

— Révérende mère, je ne dis pas plus souvent que quoi, je dis plus souvent.

— Je ne vous comprends pas. Pourquoi dites-vous plus souvent ?

— Pour dire comme vous, révérende mère.

— Mais je n’ai pas dit plus souvent.

— Vous ne l’avez pas dit, mais je l’ai dit pour dire comme vous.

En ce moment neuf heures sonnèrent.

— À neuf heures du matin et à toute heure loué soit et adoré le très saint-sacrement de l’autel, dit la prieure.

— Amen, dit Fauchelevent.

L’heure sonna à propos. Elle coupa court à Plus Souvent. Il est probable que sans elle la prieure et Fauchelevent ne se fussent jamais tirés de cet écheveau.

Fauchelevent s’essuya le front.

La prieure fit un nouveau petit murmure intérieur, probablement sacré, puis haussa la voix.

— De son vivant, mère Crucifixion faisait des conversions ; après sa mort, elle fera des miracles.

— Elle en fera ! répondit Fauchelevent emboîtant le pas, et faisant effort pour ne plus broncher désormais.

— Père Fauvent, la communauté a été bénie en la mère Crucifixion. Sans doute il n’est point donné à tout le monde de mourir comme le cardinal de Bérulle en disant la sainte messe, et d’exhaler son âme vers Dieu en prononçant ces paroles : Hanc igitur oblationem. Mais, sans atteindre à tant de bonheur, la mère Crucifixion a eu une mort très précieuse. Elle a eu sa connaissance jusqu’au dernier instant. Elle nous parlait, puis elle parlait aux anges. Elle nous a fait ses derniers commandements. Si vous aviez un peu plus de foi, et si vous aviez pu être dans sa cellule, elle vous aurait guéri votre jambe en y touchant. Elle souriait. On sentait qu’elle ressuscitait en Dieu. Il y a eu du paradis dans cette mort-là.

Fauchelevent crut que c’était une oraison qui finissait.

— Amen, dit-il.

— Père Fauvent, il faut faire ce que veulent les morts.

La prieure dévida quelques grains de son chapelet. Fauchelevent se taisait. Elle poursuivit.

— J’ai consulté sur cette question plusieurs ecclésiastiques travaillant en