— Je vous dis que non, la mère, reprit le marchand.
Cosette était sortie de dessous la table.
— Oh ! si ! monsieur ! dit-elle, le cheval a bu, il a bu dans le seau, plein le seau, et même que c’est moi qui lui ai porté à boire, et je lui ai parlé.
Cela n’était pas vrai. Cosette mentait.
— En voilà une qui est grosse comme le poing et qui ment gros comme la maison, s’écria le marchand. Je te dis qu’il n’a pas bu, petite drôlesse ! Il a une manière de souffler quand il n’a pas bu que je connais bien.
Cosette persista, et ajouta d’une voix enrouée par l’angoisse et qu’on entendait à peine :
— Et même qu’il a bien bu !
— Allons, reprit le marchand avec colère, ce n’est pas tout ça, qu’on donne à boire à mon cheval et que cela finisse !
Cosette rentra sous la table.
— Au fait, c’est juste, dit la Thénardier, si cette bête n’a pas bu, il faut qu’elle boive.
Puis, regardant autour d’elle :
— Eh bien, où est donc cette autre ?
Elle se pencha et découvrit Cosette blottie à l’autre bout de la table, presque sous les pieds des buveurs,
— Vas-tu venir ? cria la Thénardier.
Cosette sortit de l’espèce de trou où elle s’était cachée. La Thénardier reprit :
— Mademoiselle Chien-faute-de-nom, va porter à boire à ce cheval.
— Mais, madame, dit Cosette faiblement, c’est qu’il n’y a pas d’eau.
La Thénardier ouvrit toute grande la porte de la rue.
— Eh bien, va en chercher !
Cosette baissa la tête, et alla prendre un seau vide qui était au coin de la cheminée.
Ce seau était plus grand qu’elle, et l’enfant aurait pu s’asseoir dedans et y tenir à l’aise.
La Thénardier se remit à son fourneau, et goûta avec une cuillère de bois ce qui était dans la casserole, tout en grommelant :
— Il y en a à la source. Ce n’est pas plus malin que ça. Je crois que j’aurais mieux fait de passer mes oignons.
Puis elle fouilla dans un tiroir où il y avait des sous, du poivre et des échalotes.
— Tiens, mamzelle Crapaud, ajouta-t-elle, en revenant tu prendras un gros pain chez le boulanger. Voilà une pièce-quinze-sous.