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PRÉFACE PHILOSOPHIQUE.

L’un traite la révolution comme l’autre traite la création. Refus de voir le tout ; rapetissement de l’horizon ; négation de l’infini dans un cas, de la démocratie dans l’autre. Attaque de l’ensemble par le détail. Que signifie ceci ? Expliquez-moi ce contresens. Voilà qui me révolte. 93. Marat. Le 2 septembre. Pourquoi le sang ? Pourquoi ce mal ? etc. Puis, après l’indignation, la moquerie. Ceci est laid, ceci est grotesque, ceci est malpropre, etc. La prise semble facile, le résultat est nul. De victoire point. Ni le peuple ni Dieu ne sont atteints. L’un reste dans son droit, l’autre dans son ciel.


[XII]

Certains philosophes, quelques-uns par excès d’amour, s’obstinent au doute, et raisonnent ainsi :

— Expliquez-nous le mal, et nous croirons. Dites-nous le pourquoi du tigre, le pourquoi de l’araignée, le pourquoi de la ciguë, le pourquoi de Commode, fils de Marc-Aurèle, le pourquoi du 18 brumaire, le pourquoi de Lacenaire, le pourquoi de la guerre, le pourquoi de la nuit, le pourquoi de la vie s’alimentant de la mort ; dites-nous le pourquoi de la souffrance et de la faute ; et nous croirons. Un Dieu qui crée ou qui permet le mal est incompréhensible. Le mal est, donc Dieu n’est pas.

J’admets que Dieu créant ou permettant le mal est incompréhensible.

Maintenant, entendons-nous sur la portée de l’incompréhensible comme élément de négation.

S’il suffit qu’une chose soit incompréhensible pour ne pouvoir pas être, les négateurs ont raison.

Mais si l’incompréhensible peut exister, ils ont tort.

Examinons.

L’infini est scientifiquement démontré. Demandez à l’algèbre.

Or, qu’est-ce que l’infini ? C’est l’incompréhensible.

Donc, l’incompréhensible peut exister, puisqu’il existe.

Levez les yeux vers le ciel étoilé, vous le voyez. Prenez une mouche, vous la touchez.

Si l’incompréhensible existe, que prouve cet argument :

— Dieu est incompréhensible, donc il n’est pas — ?

Rien.

Le mal, n’étant qu’incompréhensible, ne prouve donc rien contre Dieu.

Ne point comprendre n’est pas plus une raison pour nier que pour croire.