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PRÉFACE PHILOSOPHIQUE.

c’est la nuit ; — quelque résistance que fasse la philosophie, l’hypothèse du monde puni se dresse devant le penseur. Il songe à toutes les inexplicables formes du mal visibles dans la vie, et il voit se lever devant lui, comme arrière-plan, cette réalité terrifiante, le monde ténébreux. Ceci est la souffrance ; et, chose lugubre, la souffrance ayant la dimension de l’univers. Or, la souffrance pour la souffrance n’est pas. Rien n’existe sans cause ; la souffrance est donc invinciblement ou un châtiment ou une épreuve, et, dans tous les cas, un rachat.

Mais quoi ! cet immense monde que nous voyons et dont nous sommes, serait donc l’enfer ? Ce monde-ci, oui. Mais nous ne voyons qu’un coin de l’infini ; nous ne connaissons point tous les compartiments de l’Être ; il y a d’autres mondes. Mais alors les religions ont donc raison contre les philosophies, ce monde qui est sous nos yeux, ayant le caractère de l’éternité, l’enfer est donc éternel ? Distinguons. Éternel en soi, momentané en nous. Il est ; on le traverse ; on n’y souffre qu’un temps ; on y entre et l’on en sort. Éternité, mais passage. Quant à lui, il est immanent et persiste, c’est en ce sens seulement qu’il est éternel. La permanence de mon cachot ne prouve pas la permanence de ma peine. Les théogonies ont confondu la durée de la prison avec la durée de l’emprisonnement.

Enfer éternel, oui ; damnation éternelle, non.

Ici s’ouvrirait toute la série la plus ardue des questions religieuses et philosophiques ; mais ce n’est pas le lieu d’y pénétrer.

Sortons de ces austères hypothèses.


X


Chaque astre, dans sa révolution, trace un cercle de l’abîme, et chaque cercle de l’abîme est une courbe d’intersection de l’infini sur laquelle, par la rencontre de toutes les conditions spéciales, propres à ce point donné, se développe un des modes de la vie universelle, nécessaire ici, impossible ailleurs ; normal ici, monstrueux ailleurs. Un homme apparaissant à un habitant de Saturne le ferait probablement évanouir d’épouvante, et réciproquement.

Les modes d’existence, même les plus voisins de nous, nous ne pouvons les concevoir. Qu’est-ce que la vie sélénocentrique, c’est-à-dire la vie sans atmosphère ? Qu’est-ce que la vie héliocentrique, c’est-à-dire la vie dans une fournaise ? Ces questions confondent notre entendement. L’être de la lune et l’être du soleil sont des énigmes pour nous.