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NOTES DE L’ÉDITEUR.

Cette dernière raison était de nature à toucher l’éditeur ; il n’était peut-être pas fâché non plus d’adoucir quelque peu ses relations avec l’auteur d’Hernani, il acquiesça donc au désir de Victor Hugo et recula de deux mois, c’est-à-dire du 1er décembre 1830 au 1er février 1831, la livraison du manuscrit de Notre-Dame.

Victor Hugo put respirer, le poète put jeter son cri de citoyen, l’Ode à la jeune France, publiée en août :

Frères, et vous aussi vous avez vos journées !

Il commença en même temps le Journal d’un révolutionnaire de 1830. Août s’écoula ainsi. Mais il n’y avait pas à s’attarder davantage, il reprit sa tâche de Notre-Dame le 1er septembre.

Mme Victor Hugo raconte[1] :

Cette fois il n’y avait plus de délai à espérer ; il fallait arriver à l’heure. Il s’acheta une bouteille d’encre et un gros tricot de laine grise qui l’enveloppait du cou à l’orteil, mit ses habits sous clef pour n’avoir pas la tentation de sortir, et entra dans son roman comme dans une prison. Il était fort triste.

Dès lors il ne quitta plus sa table que pour manger et dormir. Sa seule distraction était une heure de causerie avec quelques amis qui venaient le voir et auxquels il lisait parfois ses pages de la journée…

Dès les premiers chapitres, sa tristesse était partie ; sa création s’était emparée de lui ; il ne sentait ni la fatigue ni le froid de l’hiver qui était venu ; en décembre, il travaillait les fenêtres ouvertes.

Le 15 janvier le livre était fini. Il avait devancé de quinze jours la date fixée. La bouteille d’encre qu’il avait achetée le premier jour était finie aussi ; il était arrivé en même temps à la dernière ligne et à la dernière goutte.

Pendant qu’il faisait Notre-Dame de Paris, M. Victor Hugo, à qui M. Gosselin demandait quelques renseignements sur son livre pour le faire annoncer, répondit :

« … C’est une peinture de Paris au quinzième siècle et du quinzième siècle à propos de Paris. Louis XI y figure dans un chapitre. C’est lui qui détermine le dénouement. Le livre n’a aucune prétention historique, si ce n’est de peindre peut-être avec quelque science et quelque conscience, mais uniquement par aperçus et par échappées, l’état des mœurs, des croyances, des lois, des arts, de la civilisation enfin, au quinzième siècle. Au reste, ce n’est pas là ce qui importe dans le livre. S’il a un mérite, c’est d’être une œuvre d’imagination, de caprice et de fantaisie. »

Après l’achèvement de Notre-Dame de Paris, M. Victor Hugo se sentit désœuvré et attristé ; il s’était habitué à vivre avec ses personnages, et il éprouva en se séparant d’eux le chagrin qu’il aurait eu à voir partir de vieux amis. Il quitta son livre avec autant de peine qu’il en avait eu à s’y mettre.

Notre-Dame de Paris, achevée le 15 janvier, fut rapidement imprimée et mise enfin en vente le 16 mars.

Le livre paraissait dans un moment bien peu favorable aux choses de l’art. L’émeute et le choléra sévissaient. Les esprits se remettaient à peine des émotions causées par le pillage de Saint-Germain-l’Auxerrois et de l’Archevêché, qu’une crise de la plus haute gravité renversait toute l’orientation de la politique française : le ministère Laffitte, libéral et populaire, faisait place au ministère Casimir Perier, autoritaire et bourgeois ; la révolution était finie, la réaction commençait. C’est la prérogative supérieure de la poésie et de la pensée : il est certain que, pour nous, l’apparition de Notre-Dame de Paris est, à distance, un événement autrement considérable qu’un changement de ministère ; mais on pourrait croire qu’en 1831, dans la fièvre des opinions combattantes, Paris se serait assez peu soucié de ces deux volumes à couverture jaune qui se publiaient dans un coin.

Et cependant il paraît avéré que l’effet de Notre-Dame de Paris fut profond. Nous ne parlons pas du succès matériel, qui

  1. Victor Hugo raconté par un Témoin de sa vie.