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des bosquets délicieux, arrosés de mille petits ruisseaux, bien autrement poétiques que nos vilains torrents. Nos cavernes noires et profondes feraient place à des grottes charmantes, tapissées de rocailles dorées et de coquillages d’azur. Dans l’une de ces grottes habiterait un célèbre enchanteur, Hannus de Thulé… — Car vous conviendrez que le nom de Han d’Islande ne flatte pas l’oreille. — Ce géant… — vous sentez qu’il serait absurde que le héros d’un tel ouvrage ne fût pas un géant — ce géant descendrait en ligne droite du dieu Mars… — Ingolphe l’Exterminateur ne présente rien à l’imagination — et de la magicienne Théonne… — ne trouvez-vous pas le nom de Thoarka heureusement altéré ? — fille de la sibylle de Cumes. Hannus, après avoir été élevé par le grand-mage de Thulé, se serait enfin échappé du palais du pontife, sur un char attelé de deux dragons… — Il faudrait être un pauvre esprit pour conserver la mesquine tradition du tronc d’arbre. — Arrivé sous le ciel de Durtinianum, et séduit par ce pays charmant, il en aurait fait le lieu de sa résidence et le théâtre de ses crimes. Ce ne serait pas chose aisée que de faire une peinture agréable des brigandages de Han. On pourrait en adoucir l’horreur par quelque amour ingénieusement imaginé. La bergère Alcippe, en promenant un jour son agneau dans un bois de myrtes et d’oliviers, serait aperçue par le géant, qui céderait soudain au pouvoir de ses yeux. Mais Alcippe aimerait le beau Lycidas, officier des milices, en garnison dans son hameau. Le géant s’irriterait du bonheur du centurion, et le centurion des assiduités du géant. Vous concevez, aimable damoiselle, tout ce qu’une pareille imagination pourrait semer de charme dans les aventures de Hannus. Je parierais mes bottes de Cracovie contre une paire de patins qu’un tel sujet, traité par la damoiselle Scudéry, ferait raffoler toutes les dames de Copenhague.

Ce mot arracha Schumacker de la sombre rêverie où il était resté enseveli pendant la dépense inutile de bel esprit que venait de faire le lieutenant.

— Copenhague ? dit-il brusquement ; seigneur officier, que s’est-il passé de nouveau à Copenhague ?

— Rien, sur ma foi, que je sache, répondit le lieutenant, sinon le consentement donné par le roi au mariage important qui occupe en ce moment les deux royaumes.

— Comment ! reprit Schumacker ; quel mariage ?

L’apparition d’un quatrième interlocuteur arrêta la réponse sur les lèvres du lieutenant.

Tous trois levèrent les yeux. Le visage sombre du prisonnier s’éclaircit, la physionomie frivole du lieutenant prit une expression de gravité, et la douce figure d’Éthel, pâle et confuse pendant le long soliloque de l’officier,