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Éthel lui lut l’histoire de la bergère Allanga, qui refusa un roi jusqu’à ce qu’il eût prouvé qu’il était un guerrier. Le prince Regner Lodbrog n’obtint la bergère qu’en revenant vainqueur du brigand de Klipstadur, Ingolphe l’Exterminateur.

Soudain un bruit de pas et de feuillage froissé vint interrompre sa lecture et arracher Schumacker à sa méditation. Le lieutenant d’Ahlefeld sortit de derrière le rocher où ils étaient assis. Éthel baissa la tête en reconnaissant l’interrupteur éternel, et l’officier s’écria :

— Sur ma foi, ma belle damoiselle, le nom d’Ingolphe l’Exterminateur vient d’être prononcé par votre charmante bouche. Je l’ai entendu, et je présume que c’est en parlant de son petit-fils, Han d’Islande, que vous êtes remontée jusqu’à lui. Les damoiselles aiment beaucoup à parler des brigands. Sous ce rapport, on conte d’Ingolphe et de sa descendance des choses singulièrement agréables et effrayantes à entendre. L’exterminateur Ingolphe n’eut qu’un fils, né de la sorcière Thoarka ; ce fils n’eut également qu’un fils, né de même d’une sorcière. Depuis quatre siècles, cette race s’est ainsi perpétuée pour la désolation de l’Islande, toujours par un seul rejeton, qui ne produit jamais qu’un rameau. C’est par cette série d’héritiers uniques que l’esprit infernal d’Ingolphe est arrivé de nos jours sain et entier au fameux Han d’Islande, qui avait sans doute tout à l’heure le bonheur d’occuper les virginales pensées de la damoiselle.

L’officier s’arrêta un moment. Éthel gardait le silence de l’embarras ; Schumacker, celui de l’ennui. Enchanté de les trouver disposés sinon à répondre, du moins à écouter, il continua :

— Le brigand de Klipstadur n’a d’autre passion que la haine des hommes, d’autre soin que celui de leur nuire…

— Il est sage, interrompit brusquement le vieillard.

— Il vit toujours seul, reprit le lieutenant.

— Il est heureux, dit Schumacker.

Le lieutenant fut ravi de cette double interruption, qui semblait sceller un pacte de conversation.

— Nous préserve le dieu Mithra, s’écria-t-il, de ces sages et de ces heureux ! Maudit soit le zéphyr malintentionné qui a apporté en Norvège le dernier des démons d’Islande. J’ai tort de dire malintentionné, car c’est, assure-t-on, à un évêque que nous devons le bonheur de posséder Han de Klipstadur. Si l’on en croit la tradition, quelques paysans islandais, ayant pris sur les montagnes de Bessestedt le petit Han encore enfant, voulurent le tuer, comme Astyage tua le lionceau de Bactriane ; mais l’évêque de Scalholt s’y opposa, et prit l’oursin sous sa protection, espérant faire un chrétien du diable. Le bon évêque employa mille moyens pour développer