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IX

Fâtik brise son glaive dans le corps de sa victime : les glaives et les guerriers ont un terme pareil. Les bêtes qu’il a choisies pour victimes sont à l’instant sa proie ; chameaux, autruches, vaches et taureaux sauvages, tous tombent sous ses coups redoutables… D’heure en heure son glaive répand un sang nouveau, comme si les heures, pareilles à des hôtes, revenaient d’un voyage, et lui demandaient des victimes…
Abou’tthayyb, poëte arabe.


JULIETTE.
Ah ! crois-tu que nous nous revoyions jamais ?
ROMÉO
Je n’en doute point ; et toutes ces peines deviendront le doux entretien de nos jours à venir.
Shakespeare, Roméo et Juliette.


Le fanal du château de Munckholm venait de s’éteindre, et, à sa place, le matelot entrant dans le golfe de Drontheim voyait le casque du soldat de garde briller de loin, comme une étoile mobile, aux rayons du soleil levant, quand Schumacker, appuyé sur le bras de sa fille, descendit comme de coutume dans le jardin circulaire qui environnait sa prison. Tous deux avaient eu une nuit agitée, le vieillard par l’insomnie, la jeune fille par des rêves délicieux. Ils se promenaient depuis quelque temps en silence, quand le vieux prisonnier attacha sur la belle jeune fille un regard triste et grave :

— Vous rougissez et souriez toute seule, Éthel ; vous êtes heureuse, car vous ne rougissez pas du passé, et vous souriez à l’avenir.

Éthel rougit plus fort, et cessa de sourire.

— Mon seigneur et père, dit-elle, embarrassée et confuse, j’ai apporté le livre de l’Edda.

— Eh bien, lisez, ma fille, dit Schumacker ; et il retomba dans sa rêverie.

Alors le sombre captif, assis sur un rocher noirâtre ombragé d’un sapin noir, écouta la douce voix de sa fille, sans entendre sa lecture, comme un voyageur altéré se plaît au murmure de la source où il puise la vie.