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II

REVUE DE LA CRITIQUE.


Le plus grand reproche que la critique ait adressé à Victor Hugo, c’est d’avoir écrit un livre d’une effrayante et atroce vérité, c’est peut-être là le plus grand éloge. Oui, Victor Hugo a voulu inspirer l’épouvante parce qu’il voulait communiquer à ceux qui le lisaient sa haine de la peine de mort. Il a réussi au moins pour l’épouvante ; il a rencontré plus de résistance dans sa propagande pour l’abolition de l’échafaud.

Deux des articles que nous reproduisons sont signés d’initiales ; J. J. étaient les initiales de Jules Janin, N, l’initiale de Nodier. On ne peut s’empêcher de supposer, en lisant l’article de la Quotidienne, que c’est lui qui a inspiré ce spirituel plagiat de la Critique de l’Ecole des femmes que Victor Hugo a intitulé Une Comédie à propos d’une Tragédie. Les expressions les plus significatives du rédacteur de la Quotidienne y sont citées et à peine ridiculisées. Quoi qu’en disent ces deux critiques, devenus par la suite deux admirateurs, Victor Hugo a bien, même pour eux, atteint son but : il a effrayé, mais il a ému.

La Quotidienne.

J. J.

… Ce livre, tout étincelant d’une horrible et atroce vérité, doit mettre à bout le peu d’émotions qui nous restent. Or, ici, le succès ne peut pas justifier un écrivain, le talent ne peut pas le rendre excusable, rien ne peut lui faire pardonner son acharnement à flétrir une âme d’homme, à effleurer la paix d’une nation qui certainement, après ce qu’elle a vu, devrait se croire habituée à l’échafaud, et qui, en lisant le Dernier Jour d’un Condamné, reculera d’épouvante. Figurez-vous une agonie de trois cents pages. Figurez-vous un homme de style et d’imagination et de courage, un poète habitué à jouter avec les plus grandes difficultés de la langue et des passions, se plongeant avec plaisir dans ces longues tortures, interrogeant le pouls de ce misérable, comptant les battements de ses artères, prêtant l’oreille à ce cœur qui se gonfle dans cette poitrine, et ne se retirant de l’échafaud que lorsque sa tête a roulé ! Tout ceci n’est-il pas de l’atroce ? Et puis, ne s’agit-il pas d’un homme de sang ? Que si par hasard vous avez essayé un plaidoyer contre la peine de mort, je vous répondrai qu’un drame ne prouve rien. De grâce ! vous me faites trop peur et trève à tous ces tristes efforts ! Préservez-nous d’une vérité si nue ! Permettez-nous encore de nous sentir hommes quelquefois, c’est-à-dire des êtres assez bien organisés pour être émus par des beautés simples et naturelles, intéressés par une fable riante et jeune, attendris par des récits animés et vivement passionnés.

Voyez ce que vous avez fait : vous êtes allés plus loin que ces modèles en cire, destinés aux amphithéâtres, plus loin que la peinture la plus hardie : votre livre a fait pâlir en même temps le cabinet de M. Dupont et le pinceau de M. Boulanger ! ou bien mettez en tête de votre livre cette épigraphe qui l’expliquera très bien : Ægri somnia.

La Revue des Deux-Mondes.

A. Fontaney.

… À vrai dire, ce n’est pas un roman que le Dernier Jour d’un Condamné. C’est quelque chose de plus haut ; c’est un livre à part, un livre dont on n’avait pas l’idée et qu’on n’imitera point ; c’est une création qui doit demeurer isolée, unique dans l’art. Après cela, si bon vous semble, et comme le veut bien lui-même l’auteur, nommez l’ouvrage un plaidoyer, j’y consens aussi. Au moins celui-là n’est point de ceux qu’on déclame au palais ; il n’y a rien là du procureur gé-