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pour vous en informer, madame la comtesse ; pour moi, je dois, d’après l’ordre de mon noble maître, jouir de l’insigne honneur d’un entretien particulier avec vous.

La comtesse pâlit ; elle s’écria d’une voix tremblante :

— Moi ! un entretien avec vous, Musdœmon ?

— Si cela affligeait en rien la noble dame, son indigne serviteur serait au désespoir.

— M’affliger ! non sans doute, reprit la comtesse s’efforçant de sourire ; mais cet entretien est-il si nécessaire ?

Le messager s’inclina jusqu’à terre.

— Absolument nécessaire ! la lettre que l’illustre comtesse a daigné recevoir de mes mains doit en contenir l’injonction formelle.

C’était une chose singulière que de voir la fière comtesse d’Ahlefeld trembler et pâlir devant un serviteur qui lui rendait de si profonds respects. Elle ouvrit lentement le paquet et en lut le contenu. Après l’avoir relu :

— Allons, dit-elle à ses femmes d’une voix faible, qu’on nous laisse seuls.

— Daigne la noble dame, dit le messager fléchissant le genou, me pardonner la liberté que j’ose prendre et la peine que je parais lui causer.

— Croyez au contraire, repartit la comtesse avec un sourire forcé, que j’ai beaucoup de plaisir à vous voir.

Les femmes se retirèrent.

— Elphège, tu as donc oublié qu’il fut un temps où nos tête-à-tête ne te répugnaient pas ?

C’était le messager qui parlait à la noble comtesse, et ces paroles étaient accompagnées d’un rire pareil à celui du diable lorsque, au moment où le pacte expire, il saisit l’âme qui s’est donnée à lui.

La puissante dame baissa sa tête humiliée.

— Que ne l’ai-je en effet oublié ! murmura-t-elle.

— Pauvre folle ! comment peux-tu rougir de choses que nul œil humain n’a vues ?

— Ce que les hommes ne voient pas, Dieu le voit.

— Dieu, faible femme ! tu n’es pas digne d’avoir trompé ton mari, car il est moins crédule que toi.

— Vous insultez peu généreusement à mes remords, Musdœmon.

— Eh bien ! si tu en as, Elphège, pourquoi leur insultes-tu toi-même chaque jour par des crimes nouveaux ?

La comtesse d’Ahlefeld cacha sa tête dans ses mains ; le messager poursuivit :

— Elphège, il faut choisir : ou le remords et plus de crimes, ou le