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n’avons pas bien présents à l’esprit le lieu, le jour, ni le nom du condamné, mais nous les retrouverons si l’on conteste le fait, et nous croyons que c’est à Pamiers ; vers la fin de septembre donc, on vient trouver un homme dans sa prison, où il jouait tranquillement aux cartes ; on lui signifie qu’il faut mourir dans deux heures, ce qui le fait trembler de tous ses membres, car, depuis six mois qu’on l’oubliait, il ne comptait plus sur la mort ; on le rase, on le tond, on le garrotte, on le confesse ; puis on le brouette entre quatre gendarmes, et à travers la foule, au lieu de l’exécution. Jusqu’ici rien que de simple. C’est comme cela que cela se fait. Arrivé à l’échafaud, le bourreau le prend au prêtre, l’emporte, le ficelle sur la bascule, l’enfourne, je me sers ici du mot d’argot, puis il lâche le couperet. Le lourd triangle de fer se détache avec peine, tombe en cahotant dans ses rainures, et, voici l’horrible qui commence, entaille l’homme sans le tuer. L’homme pousse un cri affreux. Le bourreau, déconcerté, relève le couperet et le laisse retomber. Le couperet mord le cou du patient une seconde fois, mais ne le tranche pas. Le patient hurle, la foule aussi. Le bourreau rehisse encore le couperet, espérant mieux du troisième coup. Point. Le troisième coup fait jaillir un troisième ruisseau de sang de la nuque du condamné, mais ne fait pas tomber la tête. Abrégeons. Le couteau remonta et retomba cinq fois, cinq fois il entama le condamné, cinq fois le condamné hurla sous le coup et secoua sa tête vivante en criant grâce ! Le peuple indigné prit des pierres et se mit dans sa justice à lapider le misérable bourreau. Le bourreau s’enfuit sous la guillotine et s’y tapit derrière les chevaux des gendarmes. Mais vous n’êtes pas au bout. Le supplicié, se voyant seul sur l’échafaud, s’était redressé sur la planche, et là, debout, effroyable, ruisselant de sang, soutenant sa tête à demi coupée qui pendait sur son épaule, il demandait avec de faibles cris qu’on vînt le détacher. La foule, pleine de pitié, était sur le point de forcer les gendarmes et de venir à l’aide du malheureux qui avait subi cinq fois son arrêt de mort. C’est en ce moment-là qu’un valet du bourreau, jeune homme de vingt ans, monte sur l’échafaud, dit au patient de se tourner pour qu’il le délie, et, profitant de la posture du mourant