Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/53

Cette page a été validée par deux contributeurs.


— C’est Ordener ! dit la jeune fille, car le dernier retentissement de cette voix, qu’elle n’avait pas entendue depuis un an, était encore dans son oreille.

Et la lune qui passait éclaira la joie de sa charmante figure ; puis elle reprit, timide et confuse, et se dégageant des bras du jeune homme :

— C’est le seigneur Ordener.

— C’est lui, comtesse Éthel.

— Pourquoi m’appelez-vous comtesse ?

— Pourquoi m’appelez-vous seigneur ?

La jeune fille se tut et sourit ; le jeune homme se tut et soupira. Elle rompit la première le silence :

— Comment donc êtes-vous ici ?

— Faites-moi merci, si ma présence vous afflige. J’étais venu pour parler au comte votre père.

— Ainsi, dit Éthel d’une voix altérée, vous n’êtes venu que pour mon père.

Le jeune homme baissa la tête, car ces paroles lui semblaient bien injustes.

— Il y a sans doute déjà longtemps, continua la jeune fille d’un ton de reproche, il y a sans doute déjà longtemps que vous êtes à Drontheim ? Votre absence de ce château n’a pu vous paraître longue, à vous.

Ordener, profondément blessé, ne répondit pas.

— Je vous approuve, dit la prisonnière d’une voix tremblante de douleur et de colère ; mais, ajouta-t-elle d’un ton fier, j’espère, seigneur Ordener, que vous ne m’avez pas entendue prier ?

— Comtesse, répondit enfin le jeune homme, je vous ai entendue.

— Ah ! seigneur Ordener, il n’est point courtois d’écouter ainsi.

— Je ne vous ai pas écoutée, noble comtesse, dit faiblement Ordener ; je vous ai entendue.

— J’ai prié pour mon père, reprit la jeune fille en le regardant fixement, et comme attendant une réponse à cette parole toute simple.

Ordener garda le silence.

— J’ai aussi prié, continua-t-elle, inquiète et paraissant attentive à l’effet que ces paroles allaient produire sur lui, j’ai aussi prié pour quelqu’un qui porte votre nom, pour le fils du vice-roi, du comte de Guldenlew. Car il faut prier pour tout le monde, même pour ses persécuteurs.

Et la jeune fille rougit, car elle pensait mentir ; mais elle était piquée contre le jeune homme, et elle croyait l’avoir nommé pendant sa prière ; elle ne l’avait nommé que dans son cœur.

— Ordener Guldenlew est bien malheureux, noble dame, si vous le