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BUG-JARGAL.

Une multitude de nègres, embusqués dans cette maison, se montraient à la fois à toutes les croisées et jusque sur le toit ; et les torches, les piques, les haches, brillaient au milieu de coups de fusil qu’ils ne cessaient de tirer contre le fort, tandis qu’une autre foule de leurs camarades montait, tombait, et remontait sans cesse autour des murs assiégés qu’ils avaient chargés d’échelles. Ce flot de noirs, toujours repoussé et toujours renaissant sur ces murailles grises, ressemblait de loin à un essaim de fourmis essayant de gravir l’écaille d’une grande tortue, et dont le lent animal se débarrassait par une secousse d’intervalle en intervalle.

Nous touchions enfin aux premières circonvallations du fort. Les regards fixés sur le drapeau qui le dominait, j’encourageai mes soldats au nom de leurs familles renfermées comme la mienne dans ces murs que nous allions secourir. Une acclamation générale me répondit, et, formant mon petit escadron en colonne, je me préparai à donner le signal de charger le troupeau assiégeant.

En ce moment un grand cri s’éleva de l’enceinte du fort, un tourbillon de fumée enveloppa l’édifice tout entier, roula quelque temps ses plis autour des murs, d’où s’échappait une rumeur pareille au bruit d’une fournaise, et, en s’éclaircissant, nous laissa voir le fort Galifet surmonté d’un drapeau rouge. — Tout était fini !