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L


Il n’y a d’aveugle que la puissance du mal, qui ignore le but, quoiqu’elle sache parfaitement raisonner ses intentions et combiner ses moyens.
Le baron d’Ekstein.


Espérais-tu finir par un autre trépas ?
Alex. Soumet.



Jetons maintenant un regard dans l’autre cachot de la prison militaire adossée à la caserne des arquebusiers, qui renferme notre ancienne connaissance Turiaf Musdœmon.

On s’est peut-être étonné d’entendre ce Musdœmon, si profondément rusé, si profondément lâche, livrer avec tant de bonne foi le secret de son crime au tribunal qui l’a condamné, et cacher avec tant de générosité la part qu’y a prise son ingrat patron, le chancelier d’Ahlefeld. Qu’on se rassure cependant ; Musdœmon n’était point converti. Cette généreuse bonne foi était peut-être la plus grande preuve d’adresse qu’il eût jamais donnée. Quand il avait vu toute son infernale intrigue si inopinément dévoilée et si invinciblement démontrée, il avait été un instant étourdi et épouvanté. Cette première impression passée, l’extrême justesse de son esprit lui fit sentir que, dans l’impuissance de perdre désormais ses victimes désignées, il ne devait plus songer qu’à se sauver. Deux partis à prendre se présentèrent à lui : se décharger de tout sur le comte d’Ahlefeld, qui l’abandonnait si lâchement, ou prendre sur lui tout le crime qu’il avait partagé avec le comte. Un esprit vulgaire se fût jeté sur le premier, Musdœmon choisit le second. Le chancelier était chancelier, d’ailleurs rien ne le compromettait directement dans ces papiers qui accablaient son secrétaire intime ; puis il avait échangé quelques regards d’intelligence avec Musdœmon ; il n’en fallut pas davantage pour déterminer celui-ci à se laisser condamner, certain que le comte d’Ahlefeld faciliterait son évasion, moins encore par reconnaissance pour le service passé que par besoin de ses services futurs.

Il se promenait donc dans sa prison, qu’éclairait à peine une lampe sépulcrale, ne doutant pas que la porte ne lui en fût ouverte dans la nuit. Il examinait la forme de ce vieux cachot de pierre, bâti par d’anciens rois dont l’histoire sait à peine les noms, s’étonnant seulement qu’il eût un plancher de bois, sur lequel ses pas retentissaient profondément comme s’il