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— Non, répond le brigand.

— Quelques petits écus royaux ?

— Non, te dis-je !

— Pas même quelques pauvres ascalins ?

— Non, non, rien ; pas de quoi acheter la peau d’un rat ou l’âme d’un homme.

Le guichetier hocha la tête :

— C’est différent ; tu as tort de te plaindre ; ta cellule n’est pas aussi froide que celle où tu dormiras demain, sans t’apercevoir, je te jure, de la dureté du lit.

Cela dit, le guichetier se retira, emportant une malédiction du monstre, qui continua de se mouvoir dans ses chaînes, dont les anneaux rendaient par intervalles des bruits faibles, comme s’ils se fussent lentement brisés sous des tiraillements violents et réitérés.

La porte de chêne s’ouvrit ; un homme de haute taille, vêtu de serge rouge, et portant une lanterne sourde, entra dans le cachot, accompagné du guichetier qui avait repoussé la prière du prisonnier. Celui-ci cessa tout mouvement.

— Han d’Islande, dit l’homme vêtu de rouge, je suis Nychol Orugix, bourreau du Drontheimhus ; je dois avoir demain, au lever du jour, l’honneur de pendre ton excellence par le cou à une belle potence neuve, sur la place publique de Drontheim.

— Es-tu bien sûr en effet de me pendre ? répondit le brigand.

Le bourreau se mit à rire.

— Je voudrais que tu fusses aussi sûr de monter droit au ciel par l’échelle de Jacob, que tu es sûr de monter demain au gibet par l’échelle de Nychol Orugix.

— En vérité ? dit le monstre avec un malicieux regard.

— Je te répète, seigneur brigand, que je suis le bourreau de la province.

— Si je n’étais moi, je voudrais être toi, reprit le brigand.

— Je ne t’en dirai pas autant, reprit le bourreau ; puis, se frottant les mains d’un air vain et flatté : — Mon ami, tu as raison, c’est un bel état que le nôtre. Ah ! ma main sait ce que pèse la tête d’un homme.

— As-tu quelquefois bu du sang ? demanda le brigand.

— Non ; mais j’ai souvent donné la question.

— As-tu quelquefois dévoré les entrailles d’un petit enfant vivant encore ?

— Non ; mais j’ai fait crier des os entre les ais d’un chevalet de fer ; j’ai tordu des membres dans les rayons d’une roue ; j’ai ébréché des scies d’acier sur des crânes dont j’enlevais les chevelures ; j’ai tenaillé des chairs palpitantes, avec des pinces rougies devant un feu ardent ; j’ai brûlé le sang dans des