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— Vraiment, c’est toi ! répondit le soldat ironiquement. — Sans ton costume de phoque du Groënland, au regard que tu me lances, je serais tenté de reconnaître en toi un autre nain grotesque, qui m’a de même cherché querelle dans le Spladgest, il y a environ quinze jours ; — c’était le jour où on apporta le cadavre du mineur Gill Stadt…

— Gill Stadt ! interrompit le petit homme en tressaillant.

— Oui, Gill Stadt, affirma le soldat avec indifférence, l’amoureux rebuté d’une fille qui était la maîtresse d’un de nos camarades, et pour laquelle il est mort comme un sot.

Le petit homme dit sourdement :

— N’y avait-il pas aussi au Spladgest le corps d’un officier de ton régiment ?

— Précisément, je me rappellerai toute ma vie ce jour-là ; j’ai oublié l’heure de la retraite dans le Spladgest, et j’ai failli être dégradé en rentrant au fort. Cet officier, c’était le capitaine Dispolsen.

À ce nom le secrétaire intime se leva.

— Ces deux individus abusent de la patience du tribunal. Nous prions le seigneur président d’abréger cet entretien inutile.

— Par l’honneur de ma Cattie, je ne demande pas mieux, dit Toric Belfast, pourvu que vos courtoisies m’adjugent les mille écus promis pour la tête de Han, car c’est moi qui l’ai fait prisonnier.

— Tu mens ! s’écria le petit homme.

Le soldat chercha son sabre à son côté.

— Tu es bien heureux, drôle, que nous soyons devant la justice, en présence de laquelle un soldat, fût-il arquebusier de Munckholm, doit se tenir désarmé comme un vieux coq.

— C’est à moi, dit froidement le petit homme, qu’appartient le salaire, car sans moi on n’aurait pas la tête de Han d’Islande.

Le soldat furieux jura que c’était lui qui avait pris Han d’Islande lorsque, tombé sur le champ de bataille, il commençait à rouvrir les yeux.

— Eh bien, dit son adversaire, il se peut que ce soit toi qui l’aies pris, mais c’est moi qui l’ai terrassé ; sans moi tu n’aurais pu l’emmener prisonnier : donc les mille écus m’appartiennent.

— Cela est faux, répliqua le soldat, ce n’est pas toi qui l’as terrassé, c’est un esprit vêtu de peaux de bêtes.

— C’est moi !

— Non, non.

Le président ordonna aux deux parties de se taire ; puis, demandant de nouveau au colonel Vœthaün si c’était bien Toric Belfast qui lui avait