Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/321

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le ministre baissa la tête.

— Dieu est fort, dit-il.

Puis il releva ses yeux bienveillants sur Ordener en ajoutant :

— Dieu est bon.

Ordener, qui paraissait préoccupé, s’écria, après un court silence :

— Écoutez, seigneur ministre, je veux tenir la promesse que je vous ai faite dans la tour de Vygla. Quand je serai mort, allez trouver à Bergen mon père, le vice-roi de Norvège, et dites-lui que la dernière grâce que lui demande son fils, c’est celle de vos douze protégés. Il vous l’accordera, j’en suis sûr.

Une larme d’attendrissement mouilla le visage vénérable d’Athanase.

— Mon fils, il faut que de nobles pensées remplissent votre âme, pour savoir, dans la même heure, rejeter avec courage votre propre grâce et solliciter avec bonté celle des autres. Car j’ai entendu vos refus ; et, tout en blâmant le dangereux excès d’une passion humaine, j’en ai été profondément touché. Maintenant je me dis : Unde scelus ? Comment se fait-il qu’un homme qui approche tant du vrai juste se soit souillé du crime pour lequel il est condamné ?

— Mon père, je ne l’ai point dit à cet ange, je ne puis vous le dire. Croyez seulement que la cause de ma condamnation n’est point un crime.

— Comment ? expliquez-vous, mon fils.

— Ne me pressez pas, répondit le jeune homme avec fermeté. Laissez-moi emporter dans le tombeau le secret de ma mort.

— Ce jeune homme ne peut être coupable, murmura le ministre.

Alors il tira de son sein un crucifix noir, qu’il plaça sur une sorte d’autel grossièrement formé d’une dalle de granit adossée au mur humide de la prison. Près du crucifix il posa une petite lampe de fer allumée, qu’il avait apportée avec lui, et une bible ouverte.

— Mon fils, priez et méditez. Je reviendrai dans quelques heures. — Allons, ajouta-t-il, se tournant vers Éthel, qui, pendant l’entretien d’Ordener et d’Athanase, avait gardé le silence du recueillement, il faut quitter le prisonnier. Le temps s’écoule.

Elle se leva radieuse et tranquille ; quelque chose de divin enflammait son regard :

— Seigneur ministre, je ne puis vous suivre encore. Il faut auparavant que vous ayez uni Éthel Schumacker à son époux Ordener Guldenlew.

Elle regarda Ordener :

— Si tu étais encore puissant, libre et glorieux, mon Ordener, je pleurerais et j’éloignerais ma fatale destinée de la tienne. — Mais maintenant que tu ne crains plus la contagion de mon malheur, que tu es, ainsi que moi,