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il va laisser une mémoire souillée ; mais que lui importe au noble jeune homme ? il a sauvé le père de son Éthel.

Il est maintenant assis sur ses chaînes dans un cachot humide, où la lumière et l’air ne pénètrent qu’à peine par de sombres soupiraux ; près de lui est la nourriture du reste de son existence, un pain noir, une cruche pleine d’eau. Un collier de fer pèse sur son cou, des bracelets, des carcans de fer pressent ses mains et ses pieds. Chaque heure qui s’écoule lui emporte plus de vie qu’une année n’en enlève aux autres mortels. — Il rêve délicieusement.

— Peut-être mon souvenir ne périra-t-il pas avec moi, du moins dans un des cœurs qui battent parmi les hommes ! peut-être daignera-t-elle me donner une larme pour mon sang ! peut-être consacrera-t-elle quelquefois un regret à celui qui lui a dévoué sa vie ! peut-être, dans ses rêveries virginales, aura-t-elle parfois présente la confuse image de son ami ! Qui sait d’ailleurs ce qui est derrière la mort ? Qui sait si les âmes délivrées de leur prison matérielle ne peuvent pas quelquefois revenir veiller sur les âmes qu’elles aiment, commercer mystérieusement avec ces douces compagnes encore captives, et leur apporter en secret quelque vertu des anges et quelque joie du ciel ?

Toutefois des idées amères se mêlaient à ces consolantes méditations. La haine que Schumacker lui avait témoignée au moment même de son sacrifice oppressait son cœur. Le cri déchirant qu’il avait entendu en même temps que son arrêt de mort l’avait ébranlé profondément ; car, seul dans l’auditoire, il avait reconnu cette voix et compris cette douleur. Et puis, ne la reverra-t-il donc plus, son Éthel ? ses derniers moments se passeront-ils dans la prison même qui la renferme, sans qu’il puisse encore une fois toucher la douce main, entendre la douce voix de celle pour qui il va mourir ?

Il abandonnait ainsi son âme à cette vague et triste rêverie, qui est à la pensée ce que le sommeil est à la vie, quand le cri rauque des vieux verrous rouillés heurta rudement son oreille, déjà en quelque sorte attentive aux concerts de l’autre sphère où il allait s’envoler. — C’était la lourde porte de fer de son cachot, qui s’ouvrait en grondant sur ses gonds. Le jeune condamné se leva tranquille et presque joyeux, car il pensa que c’était le bourreau qui venait le chercher, et il avait déjà dépouillé l’existence comme le manteau qu’il foulait à ses pieds.

Il fut trompé dans son attente ; une figure blanche et svelte venait d’apparaître au seuil de son cachot, pareille à une vision lumineuse. Ordener douta de ses yeux, et se demanda s’il n’était pas déjà dans le ciel. C’était elle, c’était son Éthel.

La jeune fille était tombée dans ses bras enchaînés ; elle couvrait les mains d’Ordener de larmes, qu’essuyaient les longues tresses noires de ses cheveux