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— Vous entendez, seigneurs juges, observa le secrétaire intime ; l’accusé Schumacker a fait distribuer par Hacket des armes et des drapeaux aux rebelles.

— Kennybol, reprit le président, n’avez-vous plus rien à déclarer ?

— Rien, votre courtoisie, sinon que je ne mérite pas la mort. Je n’ai fait que prêter assistance, en bon frère, aux mineurs, et j’ose affirmer à toutes vos courtoisies que le plomb de ma carabine, tout vieux chasseur que je suis, n’a jamais touché un daim du roi.

Le président, sans répondre à ce plaidoyer, interrogea les deux compagnons de Kennybol. C’étaient des chefs de mineurs. Le plus vieux, qui déclara se nommer Jonas, répéta, en d’autres termes, ce qu’avait avoué Kennybol. L’autre, qui était le jeune homme dont les yeux avaient saisi tant de ressemblance entre le secrétaire intime et le perfide Hacket, dit s’appeler Norbith, confessa fièrement sa part dans la révolte, mais refusa de rien révéler touchant Hacket et Schumacker. Il avait, disait-il, prêté serment de se taire, et ne se souvenait plus que de ce serment. Le président eut beau l’interroger par toutes les menaces et par toutes les prières, l’obstiné jeune homme resta inflexible. D’ailleurs il assurait ne point s’être révolté pour Schumacker, mais seulement parce que sa vieille mère avait faim et froid. Il ne niait point qu’il n’eût peut-être mérité la mort ; mais il affirmait que l’on commettrait une injustice en le condamnant, parce qu’en le tuant on tuerait aussi sa pauvre mère, qui ne l’avait pas mérité.

Quand Norbith eut cessé de parler, le secrétaire intime résuma en peu de mots les charges accablantes qui pesaient jusqu’à ce moment sur les accusés, surtout sur Schumacker. Il lut quelques-unes des devises séditieuses inscrites sur les bannières, et fit ressortir contre l’ex-grand-chancelier l’unanimité des réponses de ses complices, et jusqu’au silence de ce jeune Norbith, lié par un serment fanatique. — Il ne reste plus, ajouta-t-il en terminant, qu’un accusé à interroger, et nous avons de hautes raisons de le croire agent secret de l’autorité qui a si mal veillé à la tranquillité du Drontheimhus. Cette autorité a favorisé, sinon par sa connivence coupable, du moins par sa fatale négligence, l’explosion de la révolte qui va perdre tous ces malheureux, et rendre à l’échafaud ce Schumacker, que la clémence du roi en avait si généreusement sauvé.

Éthel, qui de ses craintes pour Ordener était revenue, par une cruelle transition, à ses craintes pour son père, frémit à ce langage sinistre, et un torrent de larmes s’échappa de ses yeux, quand elle vit son père se lever, en disant d’une voix tranquille : — Chancelier d’Ahlefeld, j’admire tout ceci. Avez-vous eu la prévoyance de faire mander le bourreau ?