hauts, très populaires et très puissants, trouvaient la dissertation
qu’il préparait tout à fait méchante, insipide et fastidieuse ; que le
douloureux apostolat de la critique dont ils se sont chargés dans diverses
feuilles publiques, leur imposant le devoir pénible de poursuivre
impitoyablement le monstre du romantisme et du mauvais
goût, ils s’occupaient, dans le moment même, de rédiger pour certains
journaux impartiaux et éclairés une critique consciencieuse,
raisonnée et surtout piquante de la susdite dissertation future. À ce
terrible avis, le pauvre auteur
c’est-à-dire qu’il n’a trouvé d’autre expédient que de laisser dans les
limbes, d’où il se préparait à la tirer, cette dissertation, vierge non encor née[1],
comme parle Jean-Baptiste Rousseau, sur laquelle grondait
une si juste et si rude critique. Son ami lui conseilla de la remplacer
tout simplement par une manière d’avant-propos des éditeurs, dans
lequel il pourrait se faire dire très décemment, par ces messieurs,
toutes les douceurs qui chatouillent si voluptueusement l’oreille
d’un auteur ; il lui en présenta même plusieurs modèles empruntés à quelques
ouvrages très en faveur, les uns commençant par ces mots : Le
succès immense et populaire de cet ouvrage, etc. ; les autres par ceux-ci : La
célébrité européenne que vient d’acquérir ce roman, etc. ; ou : Il est maintenant
superflu de louer ce livre, puisque la voix universelle déclare toutes les louanges
fort au-dessous de son mérite, etc., etc. Quoique ces diverses formules,
au dire du discret conseiller, ne fussent pas sans quelque vertu tentatrice,
l’auteur de ce livre ne se sentit pas assez d’humilité et d’indifférence
paternelle pour exposer son ouvrage au désenchantement
et à l’exigence du lecteur qui aurait vu ces magnifiques apologies,
ni assez d’effronterie pour imiter ces baladins des foires, qui montrent,
comme appât à la curiosité du public, un crocodile peint sur
une toile, derrière laquelle, après avoir payé, il ne trouve qu’un
lézard. Il rejeta donc l’idée d’entonner ses propres louanges par la
- ↑ Ode À la postérité.