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le capitaine aura envoyé en prison le fils du grand-chancelier ; et voilà, j’en suis sûr, le malheur qui vous décompose le visage.

Bollar lui frappa sur l’épaule.

— Capitaine Lory, le lieutenant d’Ahlefeld a été dévoré tout vivant.

Les deux capitaines se regardèrent fixement, et Randmer, un moment étonné, se mit tout à coup à rire aux éclats.

— Ah ! ah ! capitaine Bollar, je vois que vous êtes toujours mauvais plaisant. Mais je ne donnerai pas dans celle-là, je vous en préviens.

Et le lieutenant, croisant ses deux bras, donna un libre essor à toute sa gaieté, en jurant que ce qui l’amusait le plus, c’était la crédulité avec laquelle Lory accueillait les amusantes inventions de Bollar. Le conte, disait-il, était vraiment drôle, et c’était une idée tout à fait divertissante que de faire dévorer tout cru ce Frédéric qui avait de sa peau un soin si tendre et si ridicule.

— Randmer, dit gravement Bollar, vous êtes un fou. Je vous dis que d’Ahlefeld est mort. Je le tiens du colonel ; — mort !

— Oh ! qu’il joue bien son rôle ! reprit le baron toujours en riant ; qu’il est amusant !

Bollar haussa les épaules, et se tourna vers le vieux Lory, qui lui demanda avec sang-froid quelques détails.

— Oui vraiment, mon cher capitaine Bollar, ajouta le rieur inextinguible, contez-nous donc par qui ce pauvre diable a été ainsi mangé. A-t-il fait le déjeuner d’un loup, ou le souper d’un ours ?

— Le colonel, dit Bollar, vient de recevoir en route une dépêche, qui l’instruit d’abord que la garnison de Walhstrom se replie vers nous, devant un parti considérable d’insurgés.

Le vieux Lory fronça le sourcil.

— Ensuite, poursuivit Bollar, que le lieutenant Frédéric d’Ahlefeld, ayant été, il y a trois jours, chasser dans les montagnes, du côté de la ruine d’Arbar, y a rencontré un monstre, qui l’a emporté dans sa caverne et l’a dévoré.

Ici le lieutenant Randmer redoubla ses joyeuses exclamations.

— Oh ! oh ! comme ce bon Lory croit aux contes d’enfants ! C’est bien, gardez votre sérieux, mon cher Bollar. Vous êtes admirablement drôle. Mais vous ne nous direz pas quel est ce monstre, cet ogre, ce vampire qui a emporté et mangé le lieutenant comme un chevreau de six jours !

— Je ne vous le dirai pas, à vous, murmura Bollar avec impatience ; mais je le dirai à Lory, qui n’est pas follement incrédule. — Mon cher Lory, le monstre qui a bu le sang de Frédéric, c’est Han d’Islande.