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cette innocence qu’il était si important aux intérêts du grand-chancelier de noircir.

Le gouverneur avait eu le temps de réfléchir ; il répondit à l’insistance de la grande-chancelière d’un ton de voix qui la rassura, parce qu’il décelait le doute et le trouble :

— Innocent… — Oui, — si vous voulez…

— Si je veux, seigneur général !

Et la méchante femme éclata de rire.

Ce rire blessa le gouverneur.

— Noble comtesse, dit-il, vous permettrez que je ne rende compte de mon entretien avec l’ex-grand-chancelier qu’au vice-roi.

Alors il salua profondément, et descendit dans la cour où l’attendait sa voiture.

— Oui, se disait la comtesse d’Ahlefeld rentrée dans ses appartements, pars, chevalier errant, que ton absence nous délivre du protecteur de nos ennemis. Va, ton départ est le signal du retour de mon Frédéric. — Je vous demande un peu, oser envoyer le plus joli cavalier de Copenhague dans ces horribles montagnes ! Heureusement il ne me sera pas difficile maintenant d’obtenir son rappel.

À cette pensée, elle s’adressa à sa suivante favorite.

— Ma chère Lisbeth, vous ferez venir de Bergen deux douzaines de ces petits peignes que nos élégants portent dans leurs cheveux ; vous vous informerez du nouveau roman de la fameuse Scudéry, et vous veillerez à ce qu’on lave régulièrement tous les matins dans l’eau de rose la guenon de mon cher Frédéric.

— Quoi ! ma gracieuse maîtresse, demanda Lisbeth, est-ce que le seigneur Frédéric peut revenir ?

— Oui, vraiment ; et, pour qu’il ait quelque plaisir à me revoir, il faut faire tout ce qu’il demande ; je veux lui ménager une surprise à son retour.

Pauvre mère !