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cette salle on observait, dans des niches profondes, des figures de granit grossièrement travaillées. Quelques-uns de ces simulacres mystérieux, tombés de leurs piédestaux, gisaient pêle-mêle sur les dalles, avec d’autres décombres informes couverts d’herbes et de mousses, à travers lesquels serpentaient le lézard, l’araignée et tous les insectes hideux qui naissent de la terre et des ruines.

Le jour ne pénétrait dans ce lieu que par une porte opposée à la bouche de la galerie. Cette porte avait, vue d’un certain côté, la forme ogive, mais grossière, sans âge et sans date, et évidemment donnée à l’architecte par le hasard. On aurait pu donner à cette porte, bien qu’elle fût de plain-pied, le nom de fenêtre, car elle s’ouvrait sur un précipice immense ; et l’on ne comprenait pas où pouvaient conduire trois ou quatre marches d’escalier suspendues sur l’abîme en dehors et au-dessous de cette singulière issue.

Cette salle était l’intérieur d’une espèce de tourelle gigantesque qui, de loin, vue du côté du précipice, semblait un des pitons de la montagne. Cette tourelle était isolée, et, comme on l’a déjà dit, nul ne savait à quel édifice elle avait appartenu. On apercevait seulement au-dessus, sur un plateau inaccessible au plus hardi chasseur, une masse qu’on pouvait prendre, à cause de l’éloignement, pour une roche courbée ou pour le débris d’une arcade colossale. — Cette tourelle et cette arcade écroulée étaient connues des paysans sous le nom de ruines d’Arbar. On ne savait pas plus l’origine du nom que l’origine du monument.

C’est sur une pierre située au milieu de cette salle elliptique qu’un petit homme, vêtu de peaux de bêtes, et que nous avons déjà eu occasion de rencontrer plusieurs fois dans le cours de cet ouvrage, est assis. Il tourne le dos au jour, ou plutôt au vague crépuscule qui pénètre dans la sombre tourelle pendant le soleil éclatant de midi. Cette lueur, la plus forte qui puisse éclairer naturellement l’intérieur de la tourelle, ne suffit pas pour qu’on puisse distinguer de quelle nature est l’objet vers lequel le petit homme se tient courbé. On entend quelques gémissements sourds, et l’on pourrait juger qu’ils partent de ce corps, aux mouvements faibles qu’il semble faire de tout temps. Quelquefois le petit homme se redresse, et il porte à ses lèvres une sorte de coupe, dont la forme paraît être celle d’un crâne humain, pleine d’une liqueur fumante dont on ne peut voir la couleur, et qu’il savoure à longs traits.

Tout à coup il se lève brusquement.

— On marche dans la galerie, je crois ; est-ce déjà le chancelier des deux royaumes ?

Ces paroles sont suivies d’un éclat de rire horrible, qui se termine en rugissement sauvage, auquel répond soudain un hurlement parti de la galerie.