vous portez le brillant costume de général et des plaques d’honneur sur votre poitrine, croyez-vous donc à votre mérite ? Vous êtes général, et le malheureux Levin sera mort capitaine. Il est vrai que c’était un fou, et qu’il ne songeait pas à son avancement.
— S’il n’y a point songé lui-même, la bonté du roi y a songé pour lui.
— La bonté ? dites la justice ! si pourtant on peut dire la justice d’un roi. Hé bien ! quelle insigne récompense lui a-t-on donnée ?
— Sa majesté a payé Levin de Knud bien au delà de son mérite.
— À merveille ! s’écria le vieux ministre en frappant des mains. Un loyal capitaine vient peut-être, après trente ans de service, d’être nommé major, et cette haute faveur vous porte ombrage, noble général ? Un proverbe persan a raison de dire que le soleil couchant est jaloux de la lune qui se lève.
Schumacker était tellement irrité que le général put à peine faire entendre ces paroles : — Si vous m’interrompez sans cesse… vous m’empêchez de vous expliquer…
— Non, non ! poursuivit l’autre, j’avais cru, seigneur général, saisir, au premier abord, quelques traits de ressemblance entre vous et le bon Levin ; mais, allez ! il n’en existe aucun.
— Mais, écoutez-moi…
— Vous écouter ! pour que vous me disiez que Levin de Knud est indigne de quelque misérable récompense !
— Je vous jure que ce n’est pas…
— Vous en viendriez bientôt, je vous devine, vous autres hommes, à me soutenir qu’il est, comme vous tous, fourbe, hypocrite, méchant…
— En vérité, non.
— Que sais-je ? peut-être qu’il a trahi un ami, persécuté un bienfaiteur, comme vous l’avez tous fait ? — ou empoisonné son père, ou assassiné sa mère ?
— Vous êtes dans une erreur… Je suis loin de vouloir…
— Savez-vous que ce fut lui qui détermina le vice-chancelier Wind, ainsi que Scheel, Vinding et le justicier Lasson, trois de mes juges, à ne point opiner pour la peine de mort ? Et vous voulez que je vous entende, de sang-froid, le calomnier ! Oui, c’est ainsi qu’il a agi envers moi, et pourtant je lui avais toujours fait plutôt du mal que du bien ; car je suis semblable à vous, vil et méchant.
Le noble Levin éprouvait, durant cet étrange entretien, une émotion singulière. Objet à la fois des outrages les plus directs et de la louange la plus sincère, il ne savait quelle contenance faire à d’aussi rudes compliments, à tant de flatteuses injures. Il était choqué et attendri. Tantôt il voulait