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— Voici, continua l’autre, des siphons en cuivre, des roues à dents de bronze, une caisse de grands clous, un cric. En vérité, ce sont de sinistres ameublements. Il peut vous sembler fâcheux que mon impatience vous ait amené ici avec moi.

— Vraiment, vous en convenez !

Le vieillard était plus mort que vif.

— Ne vous effrayez pas ; qu’importe le lieu où vous êtes ? j’y suis avec vous.

— Belle défense ! murmura le vieillard, chez qui une plus grande terreur affaiblissait la crainte et le respect pour son jeune compagnon ; un sabre de trente pouces contre une potence de trente coudées !

La grande femme rouge reparut, et, reprenant la lampe de fer, fit signe aux voyageurs de la suivre. Ils montèrent avec précaution un escalier étroit et dégradé pratiqué dans l’épaisseur du mur de la tour. À chaque meurtrière, une bouffée de vent et de pluie venait menacer la flamme tremblante de la lampe, que l’hôtesse couvrait de ses mains longues et diaphanes. Ce ne fut pas sans avoir plus d’une fois trébuché sur des pierres roulantes, que l’imagination alarmée du vieillard prenait pour des os humains épars sur les degrés, qu’ils arrivèrent au premier étage de l’édifice, dans une salle ronde pareille à la salle inférieure. Au milieu, suivant l’usage gothique, brillait un vaste foyer, dont la fumée s’échappait par une ouverture percée dans le plafond, non sans obscurcir très sensiblement l’atmosphère de la salle, et dont la lumière, jointe à celle de la lampe de fer, avait été aperçue des deux voyageurs sur le chemin. Une broche, chargée de viande encore fraîche, tournait devant le feu. Le vieillard se détourna avec horreur.

— C’est à ce foyer exécrable, dit-il à son compagnon, que la braise de la vraie croix a consumé les membres d’une sainte.

Une table grossière était placée à quelque distance du foyer. La femme invita les voyageurs à s’y asseoir.

— Étrangers, dit-elle en plaçant la lampe devant eux, le souper sera bientôt prêt, et mon mari va sans doute se hâter d’arriver, de peur que l’esprit de minuit ne l’emporte en passant près de la Tour-Maudite.

Alors Ordener — car le lecteur a sans doute déjà deviné que c’était lui et son guide Benignus Spiagudry — put examiner à son aise le déguisement bizarre pour lequel ce dernier avait épuisé toutes les ressources de son imagination fécondée par la peur d’être reconnu et repris. Le pauvre concierge fugitif avait échangé ses habits de cuir de renne contre un vêtement noir complet, laissé jadis dans le Spladgest par un célèbre grammairien de Drontheim, qui s’était noyé du désespoir de n’avoir pu trouver pourquoi