Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome XV.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Ces beaux lieux, ils ont fui !… déjà de frais ombrages,
De verts gazons, de frais bocages
N’enchantent plus mes inquiets regards ;
La nature sur le rivage,
Dans son faste brut et sauvage,
Se montre à moi de toutes parts.
Ici, se déployant en longs amphithéâtres,
Des rochers menaçants, confusément épars,
Obscurcissent les yeux de leurs cimes grisâtres
Que chargent d’éternels brouillards.
Des pins, au noir feuillage, aussi vieux que les mondes,
Hérissent leurs sommets neigeux ;
Sous les replis obscurs de leurs voûtes profondes,
Mugissent les vents orageux ;
Et, sous leurs sombres flancs, des lacs marécageux
Balancent lentement leurs limoneuses ondes.
Leur aspect inspire l’horreur…
On croit voir ces titans, fiers enfants de la terre,
Qui, jusqu’au séjour du tonnerre,
Osèrent porter leur fureur ;
L’œil, dans ces masses sourcilleuses,
Croit distinguer leurs têtes orgueilleuses
Qu’écrasa le foudre vengeur.
Là, me dis-je en tremblant, là, sont leurs bras énormes,
Là, reposent leurs fronts difformes,
Ces vieux pins furent leurs cheveux,
Ici, leurs corps vaincus et leurs membres nerveux,
Immenses, de leur poids couvrant au loin la terre[1],
Roulèrent, sillonnés des flèches du tonnerre.

Mais loin de ces lieux effrayants
M’entraîne ma barque légère.
Ici, sur des rochers bruyants
Un torrent roule une onde toujours claire ;

  1. Immenses, ébranlant la terre. (Variante mise en note du manuscrit.)