Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome XIII.djvu/90

Cette page n’a pas encore été corrigée

XLVIII ÉCHAPPÉ À L'ERREUR


Gouffres, m'entendez-vous? Me voyez-vous, écumes?
Je surnage. Longtemps, doux enfants, nous vécûmes,
Mes deux frères et moi, dans cet A B C D
D'imposture et d'erreur, dont l'homme a fait sa bible;
Mais c'est fini, j'en sors et je lutte, terrible
Et joyeux comme un évadé.

Nous sommes quelques-uns nageant dans l'ombre immense,
Éperdus; tout est piège, ignorance, inclémence;,
La mer n'a, pas un pli qui ne soit triste et noir;
L'écueil gémit; le vent pleure, la vague tremble;
La brume, c'est le doute; et par moments, il semble
Que l'abîme est au désespoir.

L'océan, ce despote, a l'autan pour ministre.
Je regarde au delà de l'horizon sinistre,
Je résiste à l'horreur du gouffre illimité;
Je vois plus loin que l'ombre et la haine et la guerre.
Comme Colomb criait à ses compagnons: Terre!
Je crie aux hommes: Vérité!

Et je vois Pythagore, Eschyle, esprits sublimes,
Job, Dante, âmes ayant l'habitude des cimes,
Thalès, Milton, planer dans l'obscur firmament.
Ainsi, malgré les chocs de l'onde et ses huées,
Une dispersion d'aigles ,dans les nuées
Tourbillonne superbement.