Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome XIII.djvu/74

Cette page n’a pas encore été corrigée

== XXXVII Je la revois, après vingt ans,==


Je la revois, après vingt ans, l'île où Décembre
Me jeta, pâle naufragé.
La voilà! c'est bien elle. Elle est comme une chambre
Où rien encor n'est dérangé.

Oui, c'était bien ainsi qu'elle était; il me semble
Qu'elle rit, et que j'aperçois
Le même oiseau qui fuit, la même fleur qui tremble,
La même aurore dans les bois;

Il me semble revoir, comme au fond d'un mirage,
Les champs, les vergers, les fruits mûrs,
Et dans le firmament profond; le même orage,
Et la même herbe au pied des murs,

Et le même toit blanc qui m'attend et qui m'aime,
Et, par delà le flot grondeur,
La même vision d'un éden, dans la même
Éblouissante profondeur.

Oui, je la reconnais cette grève enchantée,
Comme alors elle m'apparut,
Rive heureuse où l'on. cherche Acis et Galatée,
Où l'on trouve Booz et Ruth;

Car il n'est pas de plage, ou de montagne, ou d'île,
Parmi les abîmes amers,
Mieux faite pour cacher les roses de l'idylle
Sous là tragique horreur des mers.