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Pour tableau noir le fond immense de la tombe.
Ici, dans un brouillard qui de toutes parts tombe,
Dans des limbes où tout semble, en gestes. confus,
Jeter au monde, au ciel, au soleil, un refus,
Dans un vide immobile où rien ne se déplace,
Dans un froid où l’esprit respire de la glace,
Où Fahrenheit avorte ainsi que Réaumur,
Monte dans l’absolu le nombre, horrible mur,
Incolore, impalpable, informe, impénétrable ;
Les chiffres, ces flocons de l’incommensurable,
Flottent dans cette brume où se perdent tes yeux,
Et, pour escalader le mur mystérieux,
Ces spectres, muets, sourds, sur leur aile funèbre
Apportent au songeur cette échelle, l’algèbre,
Echelle faite d’ombre et dont les échelons
De Dédale et-d’Hermès ont usé les talons.

Géométrie ! algèbre ! arithmétique ! zone
Où l’invisible plan coupe le vague cône,
Où l’asymptote cherche, où l’hyperbole fuit !
Cristallisation des prismes de la nuit ;

Mer dont le polyèdre est l’affreux madrépore ;
Nuée où l’univers en calculs s’évapore,
Où le fluide vaste et sombre épars dans tout
N’est plus qu’une hypothèse, et tremble, et se dissout ;
Nuit faite d’un amas de sombres évidences,
Où les forces, les gaz, confuses abondances,
Les éléments grondants que l’épouvante suit,
Perdent leur noir vertige et leur flamme et leur bruit ;
Caverne où le tonnerre entre sans qu’on l’entende,
Où toute lampe fait l’obscurité plus grande,
Où l’unité de l’être apparaît mise à nu !
Stalactites du chiffre au fond de l’inconnu !
Cryptes de la science !

On ne sait quoi d’atone
Et d’informe, qui vit, qui creuse et qui tâtonne !