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Oui, médite. C’est là ton sort. Nuit, crépuscule,
Maladie et famine, hiver et canicule,
Ton âme endure tout ; elle est esclave enfin.
Ton esprit, à travers ta chair, a soif, a faim,
A la fièvre, maigrit, engraisse, brûle, gèle.
Chacun de tes besoins en, passant te flagelle.
Et ces besoins sont vils,! Si hideux, si honteux
Que tu te sens coupable et puni devant eux,
Et que, sentant peser sur ta tête inféconde
Le poids antérieur d’un mystérieux monde,
Tu dis : qu’ai-je donc fait ailleurs pour être ici ?
Mais tu reprends ton vol, le jour s’est éclairci,
La science t’appelle, homme, l’art te relève,
Tu fuis dans la clarté bleue et vague du rêve,
Tu t’évades aux cieux ; te voilà libre ! ... -Non.
Redescends dans ton corps, rentre en ton cabanon ;
Avec ton sombre esprit la fange est familière ;
Ton sang est ton bourreau, ta chair est ta geôlière ;
De l’infâme prison tes sens sont les. habits ;
Tu ne peux les quitter, et, courbé ; tu subis,
Toujours, toujours, le jour, la nuit, et sans relâche,
La fustigation inexplicable et lâche.
Au moment où l’azur t’ouvre son pur chemin,
Où tu te vois auguste, et splendide, une main,
Qui que tu sois, beau, juste, illustre, innocent, vierge,
Te prend, et, frémissant, tu sens le coup de verge.
L’horreur crie : .es-tu là ? Ta fange répond : oui.
Et rien ne te soustrait à ce joug inouï.

Il est une heure sainte, inexprimable, altière,
Où tout ce qui. n’est pas joie, orgueil et lumière,
Semble s’évanouir dans. ton coeur transporté ; .
C’est quand tu vois la femme, aube, blancheur, beauté,
Qui met sous son pied nu tes résistances vaines,
Et qui fait ruisseler du, soleil dans tes veines.