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Tirer que la douleur, l’anxiété, le vide,
Le néant, le remords, l’ignorance et l’effroi,
Qu’il frappe au nom du peuple ou venge au nom du roi.

Justice ! dites-vous. — Qu’appelez-vous justice ?
Qu’on s’entr’aide, qu’on soit des frères, qu’on vêtisse
Ceux qui sont nus, qu’on donne à tous le pain sacré,
Qu’on brise l’affreux bagne où le pauvre est muré,
Mais qu’on ne touche point à la balance sombre !
Le sépulcre où, pensif, l’homme naufrage et sombre,
Au delà d’aujourd’hui, de demain, des saisons,
Des jours, du flamboiement de nos vains horizons,
Et des chimères, proie et fruit de notre étude,
A son ciel plein d’aurore et fait de certitude ;
La justice en est l’astre immuable et lointain.
Notre justice à nous, comme notre destin,
Est tâtonnement, trouble, erreur, nuage, doute ;
Martyr, je m’applaudis ; juge, je me redoute ;
L’infaillible, est-ce moi, dis ? est-ce toi ? réponds.
Vous criez : — Nos douleurs sont notre droit. Frappons.
Nous sommes trop en butte au sort qui nous accable,
Nous sommes trop frappés d’un mal inexplicable,
Nous avons trop de deuils, trop de jougs, trop d’hivers,
Nous sommes trop souffrants, dans nos destins divers,
Tous, les grands, les petits, les obscurs, les célèbres,
Pour ne pas condamner quelqu’un dans nos ténèbres. —
Puisque vous ne voyez rien de clair dans le sort,
Ne vous hâtez pas trop d’en conclure la mort,
Fût-ce la mort d’un roi, d’un maître et d’un despote ;
Dans la brume insondable où tout saigne et sanglote,
Ne vous hâtez pas trop de prendre vos malheurs,
Vos jours sans feu, vos jours sans pain, vos cris, vos pleurs,
Et ce deuil qui sur vous et votre race tombe,
Pour les faire servir à construire une tombe.
Quel pas aurez-vous fait pour avoir ajouté
À votre obscur destin, ombre et fatalité,
Cette autre obscurité que vous nommez justice ?