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La nudité hurlait et se tordait les mains,
Les affamés gisants râlaient sur les chemins,
La France esclave avait un haillon pour livrée ;
Un hiver, on en vint à ceci que, navrée,
N’ayant plus une ronce à manger, ne sachant
Que faire, ayant brouté tous les chardons du champ,
La misère attaqua les mornes catacombes ;
Le soir on enjambait le mur triste des tombes ;
Des cimetières noirs l’homme chassait les loups ;
De la bière pourrie on écartait les clous,
Et le peuple fouillait de ses ongles les fosses ;
Les femmes blasphémaient et pleuraient d’être grosses,
Et les petits enfants rongeaient les os des morts ;
Les mères des cercueils tâchaient d’ouvrir les bords,
Cherchant ce qu’on pourrait manger dans ces décombres,
Creusant, mordant ; si bien que les trépassés sombres,
Se dressant à travers les tombeaux écroulés,
Disaient à ces vivants : qu’est-ce que vous voulez ?
Mais qu’importe ! il fut grand ; il mit le monde en flamme ;
Il fut le nom vainqueur que la foudre proclame ;
Et les drapeaux au vent, les tambours, les canons,
Les batailles nouant leurs orageux chaînons,
Les plaines par la mort des villes élargies,
Le réseau flamboyant des vastes stratégies,
Turenne, Luxembourg, Schomberg, Lorge, Brissac,
Et Namur massacrée et Courtray mise à sac,
L’incendie à Bruxelle et le pillage à Furnes,
Les fleuves rougissant de sang leurs sombres urnes,
Gand, Maëstricht, Besançon, Heidelberg, Montmédy,
La boucherie au nord, la tuerie au midi,
L’Europe ravagée, écrasée, étouffée,
Lui firent dans son Louvre un colossal trophée
De ruine, de nuit, de cendre et de tombeaux.

Mais c’est peu, les cités ainsi que des flambeaux
Brûlant et répandant leur lueur sur la terre ;
C’est peu l’éclat guerrier, la gloire militaire,