Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome X.djvu/336

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Que fais-tu ? » —

Que fais-tu ? » — Je vois Dieu.

Que fais-tu ? » — Je vois Dieu. Je suis l’homme des grèves ;
La nuit je fais des vers, le jour je fais des rêves.
Je lis les vieux lutteurs, Dante, Agrippa, Montluc.
Souvent, quand minuit sonne au clocher de Saint-Luc,
Je médite, menant dans les zones bénies
De soleils en soleils cent lignes infinies,
Reliant dans l’azur les constellations,
Architectures d’ombre et d’yeux et de rayons,
Frontons prodigieux des célestes Solimes.
Mon esprit, combinant ces triangles sublimes,
Fait, comme Orphée à Delphe et Jacob dans Endor,
Une géométrie avec les astres d’or.

Ainsi s’en vont mes jours. Assis au bord des ondes,
Je contemple la mer dont les houles profondes
Ne s’arrêtent jamais, tumultueux troupeaux
Bondissant jour et nuit sans halte et sans repos ;
Et nous nous regardons, moi rêveur, elle énorme ;
Elle attend que je pleure et j’attends qu’elle dorme.


Jersey, 18 septembre 1854.