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Le destin, chausse-trape usée à la charnière,
S’ouvre et se clôt toujours de la même manière.
Et la vie, où l’espoir avorte et se morfond,
N’est qu’une boîte avec la mort pour double fond.

L’histoire est un vieux thème usé dès Hérodote ;
Dieu ne la refait pas, mon cher, il la radote ;
Il recrépit Tibère, il replâtre Néron ;
Il ressouffle la guerre avec son vieux clairon ;
Il livre, avec un tas de détails parasites,
Aux russes Bonaparte ou Darius aux scythes ;
Pas un crime qui n’ait été cent fois commis ;
Il pétrit Catherine avec Sémiramis ;
Il fait resservir Claude et Pilate ; il retape
Caïn dans Borgia quand il lui faut un pape ;
Ce Louis quinze était à Londres Charles deux ;
Sous le nom de Cambyse Attila fut hideux ;
Hicétas reparaît dans Galilée. En somme,
Dieu n’a qu’un seul patron sur lequel il fait l’homme ;
Il laisse de ses mains le monde informe choir ;
Il n’a pas le moyen de changer d’ébauchoir,
Et c’est toujours avec la même terre glaise
Qu’il fabrique une juive ou qu’il crée une anglaise.
J’ai vu le premier homme et j’attends le second.
Dieu se trompe s’il croit prouver qu’il est fécond
Parce qu’il tire Adam à beaucoup d’exemplaires.
Sur un profil, les pleurs, sur l’autre, les colères.
C’est toujours la victime et toujours le tyran.
Son Arcturus ressemble à son Aldebaran ;
Un juif du moins vous rogne ou vous dore une piastre ;
Lui n’a pas encor pu remettre à neuf un astre !
Il faut pour admirer que l’homme soit têtu.
Voilà ce que fait Dieu. Quand donc finiras-tu,
Entre l’endroit terrible et l’envers ridicule,
De regarder toujours le même crépuscule,
Ô création pauvre, ayant à tes deux bouts
Les soleils ronds des cieux, les yeux ronds des hiboux !