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LE CIMETIERE D’EYLAU. 25I Et l’on voyait un corps taisant qui remuait. Nous étions fusilles l’un après l’autre ; un râle Immense remplissait cette ombre sépulcrale. Les rois ont les soldats comme vous vos jouets. Je levais mon épée, et je la secouais Au-dessus de ma tête, et je criais : Courage ! J’étais sourd et j’étais ivre, tant avec rage Les coups de foudre étaient par d’autres coups suivis ; Soudain mon bras pendit, mon bras droit, et je vis Mon épée à mes pieds, qui m’était échappée ; J’avais un bras cassé ; je ramassai l’épée Avec l’autre, et la pris dans ma main gauche : « Amis ! Se faire aussi casser le bras gauche est permis !» Criai-je, et je me mis à rire, chose utile, Car le soldat n’est point content qu’on le mutile. Et voir le chef un peu blessé ne déplaît point. Mais quelle heure était-il ? Je n’avais plus qu’un poing, Et j’en avais besoin pour lever mon épée ; Mon autre main battait mon flanc, de sang trempée. Et je ne pouvais plus tirer ma montre. Enfin Mon tambour s’arrêta : a Drôle, as-tu peur ? — J’ai faim », Me répondit l’enfant. En ce moment la plaine Eut comme une secousse, et fut brusquement pleine D’un cri qui jusqu’au ciel sinistre s’éleva. Je me sentais faiblir ; tout un homme s’en va Par une plaie ; un bras cassé, cela ruisselle ; Causer avec quelqu’un soutient quand on chancelle ; Mon sergent me parla ; je dis au hasard : Oui, Car je ne voulais pas tomber évanoui. Soudain le feu cessa, la nuit sembla moins noire. Et l’on criait : Victoire ! et je criai : Victoire ! J’aperçus des clartés qui s’approchaient de nous. Sanglant, sur une main et sur les deux genoux Je me tramai ; je dis : « Voyons où nous en sommes.» J’ajoutai : «Debout, tous !» Et je comptai mes hommes. «Présent ! dit le sergent. — Présent !» dit le gamin. Je vis mon colonel venir, l’épée en main.