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Un jour — Lanne assoupi tressaillit sous son dôme ; —
Les quatre aigles pensifs de la place Vendôme
Frémirent en voyant passer un noir corbeau.
On regarda. La nuit était sur Sainte-Hélène.
Un guichetier anglais sous son impure haleine
             Avait éteint le grand flambeau.

                                    *

Vingt ans il a dormi dans cette île lointaine !
Dans les monts, près d’un saule, au bord d’une fontaine,
             Sans affront, sans honneur,
Vingt ans il a dormi sous une dalle obscure,
Seul avec l’océan, seul avec la nature,
             Seul avec vous, Seigneur !

Là, dans la solitude, après tant de tempêtes,
Tandis que son esprit revivait dans nos têtes,
Que l’Europe indignée exécrait sa prison,
Et que les rois, tremblant jusque dans leurs entrailles,
Voyaient le tourbillon de toutes ses batailles
Gronder confusément encore à l’horizon ;

Durant les nuits, à l’heure où l’âme dans l’espace
N’entend que l’eau qui fuit, le cormoran qui passe,
             Le flot des flots heurté,
L’air balayant les monts que la nuée encombre,
Et ce que dit tout bas à l’éternité sombre
             La sombre immensité ;

Quand la forêt frissonne au front de la colline,
Quand le ciel lentement vers l’océan s’incline,
Lorsque, brisant sa vague aux nocturnes rayons,
La mer, où vont plongeant des étoiles sans nombre,
             Semble écumer dans l’ombre
Au choc étincelant des constellations ;