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LE PAPE.

Vous représentez-vous l’immense chute sombre,
Le gouffre, l’infini plein d’un vague courroux,
Ce damné tombant là ? Vous représentez-vous
L’ouverture des mains terribles dans l’abîme ?
Horreur ! l’homme interrompt le silence sublime,
Lui que Dieu mit sur terre afin qu’il attendît.
La justice d’en bas prend la parole et dit :
Ô justice d’en haut, c’est moi qui suis la vraie !
Fils, croyez un vieillard, nous sommes tous l’ivraie.
À peine aperçoit-on la faulx ; quant à la main,
Cachée en ce lieu noir qu’on appelle Demain,
Nous ne la voyons pas. Elle frappe à son heure.
Tuer cet homme ! ô ciel ! il me fait peur. Je pleure.
Est-ce qu’il est à moi ? Qu’est-il ? Dieu seul le sait.
Tuer, sans pouvoir dire au juste ce que c’est,
L’homme au-dessus duquel le ciel profond diffère.
Avez-vous bien pesé ce que vous allez faire ?
Vous figurez-vous, juge, et toi, peuple inclément,
L’aile étrange que peut déployer brusquement
L’être subit, sorti du viol de la tombe ?
Vautour peut-être, hélas ! mais peut-être colombe.
Vous dites-vous ceci : S’il était innocent ?
Peut-être il monte alors qu’on pense qu’il descend.
Que devient votre arrêt devant Dieu ? Les ténèbres
Peuvent faire à nos lois des réponses funèbres.
Soyons prudents devant ce que nous ignorons.
La terre est un point sombre avec des environs
Illimités de brume et d’espace farouche.
Tout l’infini frémit d’un atome qu’on touche.
N’est-il pas monstrueux de penser que la loi
Et l’homme, en cette lutte où l’on sent de l’effroi,
Mêlent des quantités inégales de crime ?
Vous êtes regardés par dessus l’âpre cime ;
Ne faites pas pleurer les invisibles yeux.
Vous avez des témoins attentifs dans les cieux ;
Ne les indignez pas, ne leur faites pas dire :
L’homme tue au hasard. L’homme, en proie au délire,