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UN CHAMP DE BATAILLE.

La lumière à des yeux pleins d’aurore ravie,
Le deuil, l’ombre, et la fuite affreuse de la vie.
Je vois les nations que la mort joue aux dés.
Mais qui donc êtes-vous, hommes qui m’entendez ?
Quoi ! vous êtes le nombre et vous êtes la force !
Vous êtes la racine et la tige et l’écorce,
Le feuillage et le fruit de l’arbre universel ;
Le désert et le sable, et la mer et le sel
Sont à vous ; vous avez toutes les étendues ;
Si vous voulez planer, vos ailes éperdues,
Hommes, ont l’infini pour s’y précipiter ;
Vous pouvez rayonner, adorer, enfanter ;
Les astres et les vents vous donnent des exemples,
Les vents pour vos essors, les astres pour vos temples ;
Vous êtes l’ouvrier qui tient tout dans sa main ;
Vous êtes le géant de Dieu, le genre humain ;
Et vous aboutissez à de vils chocs d’armées !
Et le titan se fait le forçat des pygmées !
Vous êtes cela, peuple, et vous faites ceci !
Mais alors l’impossible existe ! Oui, c’est ainsi !
C’est parce que deux rois, deux spectres, deux vampires,
Parce que deux néants s’arrachent deux empires,
Parce que l’un, ce jeune, et l’autre, ce vieillard,
Semblent grands à travers on ne sait quel brouillard,
Étant, le jeune, un fou, le vieux, un imbécile,
C’est parce qu’un vain sceptre entre leurs mains oscille
À tous les tremblements du vice et de l’erreur,
C’est parce que ces deux atomes en fureur
S’insultent, qu’on entend, ô triste foule humaine,
Ô peuples, sans savoir pourquoi, dans cette plaine
Votre stupidité formidable rugir !
Vous êtes des pantins que des fils font agir ;
On vous met dans la main une lame pointue,
Vous ne connaissez pas celui pour qui l’on tue,
Vous ne connaissez pas celui que vous tuerez.
Est-ce vous qui tuerez ? est-ce vous qui mourrez ?
Vous l’ignorez. Demain, la mort ouvrant son aile,