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LE PAPE.

J’ai droit à tous les maux qu’on souffre sur la terre ;
Je suis l’universel étant le solitaire ;
Ô pauvres, donnez-moi tout ce que vous avez,
Vos jours sans pain, vos toits sans feu, vos durs pavés,
Vos fumiers, vos grabats tremblants, vos meurtrissures,
Et le ciel étoile, plafond de vos masures.

Ô vous qui n’avez rien, donnez-moi tout. Venez,
Tous les malheureux ! nus, sanglants, blessés, traînés
Par tous les désespoirs et sur toutes les claies ;
Apportez-moi vos fiels, apportez-moi vos plaies,
Afin qu’à votre nuit je mêle un peu de jour,
Et que je fasse avec vos haines de l’amour.
Venez, haillons, sanglots, plaintes, colères, âmes !

Fils, le malheur et moi, partout où nous passâmes
Nous avons tous les deux, chacun à sa façon,
Prouvé, lui qu’il a tort, et moi qu’il a raison.
Il a tort, car on pleure, et raison, car on aime.
Le malheur a cela de tendre et de suprême
Qu’on aime d’autant plus que l’on a plus souffert ;
Le malheur c’est le ciel obscurément offert.
Vous avez les douleurs et moi j’ai les dictâmes.
Je suis l’ambitieux qui veut prendre les âmes ;
N’avoir rien secouru, c’est là la pauvreté ;
On aura des besoins devant l’éternité ;
Il serait imprudent, à l’heure où le soir tombe,
De s’offrir à celui qu’on trouve dans la tombe
Sans avoir fait d’épargne et rien mis de côté.
Souffrants, apportez-moi votre calamité.
Je suis l’aide, l’ami, l’appui. Venez, misères,
Lèpres, infirmités, indigences, ulcères,
Quiconque est hors l’espoir, quiconque est hors la loi.
La douleur m’appartient. J’appelle autour de moi
L’esprit troublé, le cœur saignant, l’âme qui sombre ;
Et je veux, entouré des détresses sans nombre,
Qui naissent sur la terre à toute heure, en tout lieu,