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L’ÂNE.

Et quelle flatterie effroyable que celle
Qui sort de ce monceau de honte universelle !
Traverse-moi d’un bout à l’autre ce récit
Du passé que le deuil du présent obscurcit,
Va de l’A jusqu’au Z, va dans l’affreuse crypte
Du czar de Moscovie au pharaon d’Égypte ;
Pierre tue Alexis et Philippe Carlos ;
Sésostris fait du monde un funèbre champ clos ;
Timour court sur l’Asie ainsi qu’une avalanche ;
Soliman, vieux et chauve, aïeul à la barbe blanche,
Appelle ses enfants et joue au milieu d’eux,
Et le soir il les fait étrangler ; Sélim deux
Fait tirer le canon chaque fois qu’il est ivre ;
Osman, s’il voit un tigre en cage, le délivre ;
Irène, l’Isabeau du chaos byzantin,
Fait arracher les yeux à son fils Constantin
Dans la chambre où ce fils sortit de ses entrailles ;
Charles sept dort pendant que La Hire et Saintrailles
Tiennent Talbot, Chandos et Bedfort en arrêt,
Et que Jeanne à travers la fournaise apparaît,
Toute nue, au poteau tordant ses bras sublimes ;
Justinien, faiseur de codes et de crimes,
Amoncelle encor plus de forfaits que de lois ;
Tudor fait un pendant monstrueux à Valois ;
Louis quatorze, au nom du Christ qu’il dénature,
Couche la France aux fers sur le lit de torture ;
Léon dix se parjure, Albrecht fait un serment
Faux, et François premier triche, et Charles-Quint ment ;
Eh bien ! tous sont cléments, grands, glorieux, illustres !
Le moindre a son autel entouré de balustres ;
Il n’est pas un d’entre eux qui ne soit le meilleur ;
Quand ils meurent la terre est folle de douleur ;
Celui-ci fut un dieu sur la machine ronde,
Cet autre fit pâlir la lumière du monde
Le jour où du milieu des vivants il sortit ;
Ô honte ! on trouvera toujours, grand ou petit,