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L’ÂNE.

Qu’un valet l’endoctrine, et c’est un mauvais prince.
Contre les courtisans votre rempart est mince !
Hélas, les hommes sont à ce point insensés
Que pour changer un d’eux en tyran, c’est assez
D’une bouche bavant une bave imbécile !
Ce chef-d’œuvre hideux, un despote, est facile ;
Quand Narcisse voulut un Néron, il le fit ;
Pour faire un Louis treize un Luynes suffit ;
Il ne faut pour cela qu’un peu de flatterie
Même par un crétin grossièrement pétrie ;
Pour tenter l’âme humaine et la précipiter,
Dom Escobar n’a pas besoin d’argumenter,
Ni Satan d’allonger sa caressante serre ;
Un corrupteur d’esprit n’est jamais nécessaire,
Et Jocrisse flatteur perdrait Socrate roi.

Et l’on me dit : Tu vas vénérer l’homme ! — En quoi ?
Mon vieux hi-han vaut bien ses quatre ou cinq diphtongues,
Et plus que ses vertus mes oreilles sont longues.

L’homme fait reculer l’heure sur le cadran,
Quitte la liberté pour reprendre un tyran,
Flatte un dieu, tue un loup, rampe et se met à rire.
Ô triste genre humain ! Veut-on pas que j’admire
Tout ce que dans toi-même, homme, tu dénigrais,
Ton faux goût, ton faux jour, tes faux pas, ton progrès
Pourvu d’un appareil à reculer, tes songes,
Tes sens ayant leur borne ainsi que des éponges,
Et tes opinions, tombant, se relevant,
Murmurant, parodie imbécile du vent !

Je vois l’homme à peu près tel qu’il est, presque bête,
Presque génie, ayant son gouffre dans sa tête.

Tu te peuples d’erreurs et tu reste désert.