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L’ÂNE.

Qui savent ce que c’est qu’une bibliothèque,
De l’ami de Ronsard, de l’ami de Sénèque,
De Rome, de Paris, faîte auguste, sommet,
Trône, où Néron chantait, où Charles neuf rimait !
Vous êtes donc mauvais pour le plaisir de l’être !

C’est votre vanité qui partout vous pénètre,
Et qui vous fait, tirant l’homme vers l’animal,
Entrer facilement dans les pores du mal.

Vanité ! tout chez vous est faux. L’or est du cuivre.
Chacun marche à côté du chemin qu’il croit suivre ;
Le soldat se croit maître, il est esclave, hélas,
Et ce qu’il nomme épée est souvent coutelas,
Et ce qu’il nomme gloire est toujours servitude ;
Le savant, qui d’Atlas imite l’attitude,
Ne sait pas ; l’ignorant n’ignore pas ; mettez
Deux autels côte à côte en vos noires cités,
Puis demandez à l’un des deux prêtres qui passe
Son avis sur le prêtre et le temple d’en face !
Le philosophe est grave, austère, froid, prudent,
Sublime, et de raison sévère débordant ;
Il ne veut pas qu’on aille et qu’on vive à sa guise,
Mais dans la sainteté du devoir il aiguise
Et fourbit les mortels à toutes les vertus ;
Ferme, il va redressant tous les instincts tortus ;
Ce qu’il dit est superbe, il excelle au dressage
De l’homme sans défaut ; mais lui-même est-il sage ?
Non ; et, législateur, il vit hors de la loi.
— Ô caillou, dit le fer, je coupe, grâce à toi,
Mais coupe donc toi-même un peu, je t’en défie. —

Qui vous met à nu trouve une maigreur bouffie,
Une difformité qui se masque et qui ment ;
La vertu, si jamais vous l’épousiez vraiment,
Vous quitterait bientôt pour cause de sévices ;
La fausse gloire germe et s’enfle sur vos vices,