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L’ÂNE.

VIII

CONDUITE DE L’HOMME VIS-À-VIS DE LA SOCIÉTÉ.


L’âne un moment se tut, puis, sévère, dressa
Ses deux oreilles l’une après l’autre :

— Homme ! — or çà,
Reprit-il, si, penché sur l’obscure ouverture,
Tu n’as pas compris Dieu ni compris la nature,
Si tu n’as pas compris ce poème des jours,
Des nuits, des cieux, des voix profondes, des bruits sourds,
Drame dont tu te crois pourtant le personnage,
Te tires-tu du moins de ton propre ménage
Avec les faits posés directement sur toi,
Qui sont les uns ton joug et les autres ta loi ;
Joug qu’il faut rejeter, loi qu’il faut reconnaître ?
Ces problèmes : avoir ou n’avoir pas un maître,
Être de brume abjecte ou de clarté vêtu,
Vivre libre ou forçat, comment les résous-tu ?
Quel est le droit du fils ? quel est le droit du père ?
De quelle quantité de passé doit-on faire
Le lest du temps présent ? dans le vote des lois
Convient-il de donner à la tombe une voix ?
L’homme doit-il avoir deux existences, l’une
Offerte à la famille et l’autre à la commune ?
Qu’est-ce qu’une cité ? qu’est-ce qu’un citoyen ?
L’État est-il but, ou n’est-il qu’un moyen ?
Grâce à ton effort gauche et bête pour extraire
Et tirer la clarté de l’erreur, son contraire,
Toutes ces questions fument sans éclairer ;
Une épaisse vapeur en sort qui fait pleurer ;
D’un brouillard qui grandit toujours environnées,