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L’ÂNE.

Qui, s’il fonde aujourd’hui, démolira demain,
Double, ayant Oui pour aile et Non pour carapace ;
Qui, sans savoir pourquoi, d’un pôle à l’autre passe,
Du plus noir du cloaque au plus bleu de l’éther,
De Dante à Loriquet, de la bouche au sphincter ;
Qui semble jeune et fort, et tout à coup se ride ;
Qui vole, plane, et boite, et, pour s’en faire un guide,
Va du condor à l’oie, et sur le faîte met
Tantôt Herder ou Dante, et tantôt dom Calmet ;
Qui ferme l’œil sitôt qu’un peu d’aube y pénètre ;
Qui, dans le même temps, trouve le moyen d’être
Virgile et Moevius, ou Voltaire et Restif ;
Qui, pour être céleste en restant positif,
Se bâcle on ne sait quel accoutrement lyrique
Fait de plume d’archange et de poil de bourrique !
Plein d’hésitation, d’anxiété, d’effroi,
Bégayant juste assez pour dire : Je suis roi,
Kant, pour se déjuger il est toujours en verve ;
La contradiction est son fonds de réserve ;
Ne sondez pas, devant ce frivole parleur,
Ces questions : tombeau, sort, mystère, douleur ;
Il fuit de l’Inconnu la sinistre falaise,
Sur ces pentes à pic il se sent mal à l’aise,
Il hait ces mots profonds qui semblent infinis,
Il ferme sa croisée au brouillard où Leibniz,
Dante, Eschyle, Reuchlin, Pythagore, Épicure,
Voyaient du noir destin pendre la corde obscure ;
Il tâche de sortir de dessous les grands cieux ;
Mais il n’est hors de là qu’un badaud vicieux,
Mais il ne sait pas même être un Chrysale honnête.
Il rit du fil de l’ombre, étant marionnette.
Le lendemain, voilà la peur qui le reprend.
Fou, tour à tour d’orgie ou d’aube s’empourprant,
L’homme mériterait, soit dit en style honnête,
D’avoir, ainsi que moi, sur le haut de la tête
Deux conduits auditifs taillés en falbala !