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COLÈRE DE LA BÊTE.

Longs bravos ; les savants formant leurs bataillons
Contemplent les herbiers et les échantillons,
Le mandarin admire, et le bourgeois dit : Qu’est-ce ?
On fait queue au musée à voir ouvrir la caisse,
Les deux chambres, que chauffe un rapport érudit,
Accordent au jardin des plantes un crédit
Pour élargir l’endroit où l’on met la genèse ;
Et l’institut — pendant que, tout frémissant d’aise,
Paris en foule court voir le tapir manger, —
Harangue au pont des Arts le fossile étranger.
Mais quand le penseur, vaste et noir missionnaire,
Arrive du pays du rêve et du tonnerre,
Et revient du mystère où planent les esprit,
Rapportant, aussi lui, ce qu’à l’ombre il a pris,
Farouche, et dans sa main, de rayons inondée,
Tenant le fait chimère ou bien le monstre idée,
Déployant la splendeur d’un progrès factieux,
Quelque nouveauté sainte ayant l’odeur des cieux
Qui va faire, profonde et pure découverte,
L’homme heureux, et l’envie, hélas, encor plus verte ;
Offrant la douleur morte ou l’espace annulé ;
Montrant des visions la formidable clé ;
Malheur à ce trouveur et malheur à ce mage !
Que Gall ait du cerveau vu sur le front l’image,
Que dans quelque insondable abîme le même air
Qui soulevait Élie ait emporté Mesmer,
Malheur ! Papin en France ou Galilée à Rome,
Quel que soit le prodige, hélas, quel que soit l’homme,
Quel que soit le bienfait, quel que soit l’ouvrier,
Qu’il se nomme Jackson, qu’il se nomme Fourier,
Malheur ! huée, affronts, et clameurs triomphantes ;
Tous se jettent sur lui ; les uns, les sycophantes,
Au nom des livres saints, védas ou rituels ;
Les autres, les douteurs, bourreaux spirituels,
Parfois railleurs profonds, comme Swift et Voltaire,
Au nom du vieux bon sens, bouche pleine de terre.
On vous l’assomme avec maint argument plombé,